BUÑUEL, APRÈS L'ÂGE D'OR
Une sorte de making-of original et émouvant
En 1930, après le scandale autour de son film « L’âge d’or« , le réalisateur Luis Buñuel se voit traité de communiste et de fétichiste. Commence alors une période difficile, où les portes des producteurs parisiens se ferment les unes après les autres. Ayant eu vent la situation en Extremadure, une des régions les plus pauvres d’Espagne, il se demande comment aider les habitants de Las Hurdes et a alors l’idée d’y tourner un documentaire. Le fait que son ami sculpteur Ramon Acin gagne à la loterie va alors lui permettre de financer son projet, donnant ainsi naissance à « Terre sans pain« …
Ce film d’animation est consacré à une part assez méconnue de la carrière de Luis Buñuel, réalisateur espagnol, ayant subi l’exil sous Franco, connu internationalement pour ses périodes françaises ou mexicaines, regroupant des œuvres aussi différentes et singulières que "Le charme discret de la bourgeoisie", "Cet obscur objet du désir", "Belle de jour", "La mort en ce jardin" ou "Viridiana". Mis sur pieds par le producteur de "La tête en l’air" ("Arrugas"), récit optimiste et drôle des frasques de deux petits vieux en maison de retraite, il est adapté du roman graphique Buñuel dans le labyrinthe des tortues de Fermin Solis, dont le dessin en noir et blanc, est assez différent du graphisme du film.
Mis en scène par Salvador Simo, qui a travaillé auparavant sur les séquences d’animation de "Le livre de la jungle" (2016) et les effets spéciaux de "Pirates des CaraÎbes, la vengeance de Salazar" (2017), le film dispose d’une facture 2D assez classique, aux traits de contours réguliers et à plats de couleur nuancés par quelques ombrages simples. Mais l’auteur utilise également la 3D pour mieux aborder les mouvements machinaux de l’automobile ou la structure d’un village aux rues étroites et aux toits en forme de carapaces de tortues (d’où le titre de la BD originale).
Avec minutie, le scénario nous entraîne ainsi sur les traces de l’artiste, en manque de projets, se rendant à Las Hurdes, une vallée d’Extremadure regroupant alors en 1932, 8000 personnes, réparties sur 52 villages. Ce lieu et ses habitants miséreux, donnera naissance à un court-métrage documentaire de 30 minutes, source d’une nouvelle mouvance dans le surréalisme. Intitulé "Terre sans pain", censuré en 1933 par le gouvernement de la Seconde République d’Espagne, et qui fut enfin visible en 1976.
Récompensé d’une mention spéciale par le Jury du Festival d’Annecy 2019, "Buñuel, après l’âge d’or" interroge les limites entre réalité documentaire et fiction, Buñuel faisant rejouer certains moments observés, comme l’arrachage d’une tête de poulet, ajoutant ainsi à la dramaturgie du métrage en cours de tournage. On retrouvera d’ailleurs cette thématique tout au long du film, avec notamment les chèvres en équilibre que l’on fait tomber exprès... Mêlant des flashs-back sur l’enfance de l’artiste en Aragon, et des passages rêvés, rejoignant un surréalisme à la Dali, avec la peur récurrente des poules, des yeux géants, ou des éléphants aux pattes gigantesques et effilées, l’œuvre en devient finalement aussi singulière qu’un film du metteur en scène lui-même.
Délicatement, il parvient à générer à la fois stupéfaction (la scène de l’âne, dévoré par les abeilles...), tout comme émotion, lors par exemple de la rencontre avec un enfant en mal d’affection ou avec une petite fille au seuil de la mort, laissée agonisante sur le bord d’un chemin. En fond, se dessine tout de même un certain humour (avec par exemple les deux techniciens débarquant de Paris… en taxi ; une course dont on nous laisse imaginer le prix), une belle fidélité en amitié et quelques allusions politiques au contexte de l’époque. Saluons enfin la très belle musique originale, signée Arturo Cardelús, récompensée également au Festival d’Annecy.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur