BOYHOOD
Un incroyable projet qui capture sans excès, quelques jolis moments de vie
Sans nul doute, "Boyhood" est le projet de toute une vie pour Richard Linklater, réalisateur caméléon, à qui l’on doit à la fois des films intimistes comme la trilogie des "Before…" (dont on retiendra surtout "Before Sunset" et "Before Sunrise") aussi bien que des expériences telles que "A Scanner Darkly", film d’animation bluffant avec Keanu Reeves, la critique sociale "Fast Food Nation" ou encore la comédie débridée avec Jack Black, "Rock Academy".
En effet, l’ambition du projet était de suivre en temps réel les différents personnages, sur une période de douze ans, en prenant comme point de vue celui du garçon, Mason, que l’on suit donc depuis l’âge de 6 ans, jusqu’à sa majorité. Le tournage s’est ainsi étalé sur pratiquement 12 ans, de l’été 2002, jusqu’en octobre 2013, créant l’événement lors de sa présentation au Festival de Berlin 2014, dont Richard Linklater est reparti avec un légitime Prix de la mise en scène.
"Boyhood" est donc une expérience cinématographique sans précédent, où les acteurs vieillissent réellement au fil du tournage du film, étalé sur quelques semaines, à raison d’environ une fois par an. Il constitue un récit de maturation, où le réalisateur capture de petits moments de vie, pour donner à voir la complexité de ce qui forge un homme, sa recherche de sa propre personnalité, d'une voie, au final à peine encore claire au sortir de l'enfance et de l'adolescence.
Pour cela, Linklater a fait appel à un jeune garçon dénommé Ellar Coltrane (le fils, enfant calme, aux yeux écarquillés face aux chemins qui s'offrent à lui...), devenu acteur malgré lui, et à sa propre fille, Lorelei Linklater (gamine au caractère de chipie, devenant une adolescente distante) qui voudra à un moment abandonner le projet, et demanda à son père de « faire mourir son personnage ». Face à eux, Patricia Arquette joue la mère divorcée, et Ethan Hawke incarne un père au départ immature, présent en pointillé, qui fera son bout de chemin au fil du film.
Tout est donc ici question d’évolution, le réalisateur préférant donner à voir des moments simples et parfois d’apparence anodine, pour mieux éviter les clichés et dessiner progressivement les contours d’une personnalité naissante. Tout cela sent le vrai, de la crainte d’un père de remplacement devenu violent aux contacts maladroits avec un père absent, en passant par les jeux idiots autour du sexe, les menaces à l’école ou encore l’apparition de la boucle d’oreille, et bénéficie de dialogues d'une sobriété parfois suffocante. Jusqu’à ce que l'évidence s'impose soudainement à nous : le petit bonhomme est devenu un homme, capable de contester, de faire des choix, et surtout, à son tour, de douter.
Certes l’évolution du garçon est assez troublante à suivre, mais la puissance du film vient aussi de sa capacité à évoquer la fierté des parents, et leur capacité ou non à passer le relais, à léguer quelque chose d’humain (que cela passe par le cadeau du Black Album des Beatles, ou une discussion mature sur la nécessité de ressentir les choses et de prendre soin de soi). Une œuvre-fleuve (plus de 2h40), tout juste bouleversante, qui vous saisit sans prévenir dans sa dernière demi-heure, et n’est pas sans rappeler un autre grand film de ces dernières années, "La Vie d'Adèle", la question de l'orientation sexuelle en moins. Un peu comme si notre propre enfant grandissait sous nos yeux, il est pour nous aussi difficile, à l’issue de la projection, de le laisser voler de ses propres ailes... Inoubliable.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur