BORGMAN
Eradication des riches !
Le hollandais Alex Van Warmerdam, réalisateur du film culte "Les habitants", ressorti en salles à la fin 2012, revient avec une nouvelle bizarrerie. Farfelu, insolite, étrange, absurde, les qualificatifs ne manquent pas pour exprimer à quel point "Borgman" désarçonne. Dès le départ, Alex Van Warmerdam commence fort en découvrant les appartements de fortune d'un homme vivant sous terre, dans la forêt. Il n'est pas le seul, deux autres ont élu domicile dans des tombeaux souterrains, ils sont recherchés par d'inquiétants hommes d'église. Cette ouverture intrigue et pressent une œuvre tout à fait singulière.
L'inconnu des souterrains sonne à la porte d'une demeure très cossue et demande un bain. Il pourrait s'agir d'un simple clochard ou d'un voyageur se contentant d'une vie de bohème mais très vite, il apparait qu'il n'a pas choisi cette maison par hasard et jette son dévolu sur la femme du mari qui lui ouvre la porte. Il prétend la connaître et il apparait plus tard que ce coup de bluff pourrait en fait être la vérité. Van Warmerdam joue des faux semblants, ouvre des pistes mais ne les referme jamais. Tout est laissé en suspens, tandis que l'inconnu poursuit son dessein : semer le désordre dans cette famille bourgeoise rongée par l'ennui et les tensions qui y sommeillent. Lui et ses complices transforment les cadavres en plantes aquatiques, malmènent subrepticement les nantis et les bourgeois qu'ils infiltrent tout en éliminant toutes personnes susceptibles de compromettre leurs plans. Dans "Borgman", on détruit leur couple, on s'immisce au sein de leurs espaces intimes, mais toujours armé d'un redoutable humour macabre tinté de burlesque, ce qui accroit la sombre saveur de cet univers fascinant cristallisant les peurs de nos sociétés modernes…
Etrange, parfois absurde et surtout très mystérieux, "Borgman", fait partie de ces films, comme "Canine" ou "Alps", dont on ne saisit pas forcément le contenu, ni même le propos, mais qui possèdent une certaine aura qui en confère toute la puissance. Un seul indice : ce panneau au début du film, qui sonne comme une sentence divine: « Et ils descendirent sur terre pour renforcer leurs rangs ». Et les références religieuses sont nombreuses. Il y a d'abord les hommes d'église, qui partent chasser ces démons ou ces êtres qui semblent venir d'ailleurs et ayant un dessein dépassant celui du commun des mortels. Rébecca, femme de maison, fait preuve de la culpabilité caractérisant la culture protestante et nordique, et Jésus en prend pour son grade. À la fin, des pistes se confirment mais l'issue, le propos reste incertain. Il semblerait qu'Alex Van Warmerdam rende compte via "Borgman" de la scission des classes sociales qui prend de plus en plus d'ampleur en Europe. Qu'importe, le voyage vaut bien l'absence de destination précise. Le film est si maitrisé, si fascinant que l'on reste scotché les deux heures durant et même au-delà…
Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur