BLUE RUIN
Celui qui tient le flingue...
Ce fut l'une des révélations du Festival de Cannes 2013, la Quinzaine des réalisateurs ayant osé sélectionner ce premier long métrage américain, à la fois charmant et sanglant, sombre histoire de vengeance et de survie. Devant beaucoup à son personnage principal, un traumatisé lunaire qui vit à l'écart du monde, à la manière d’un clochard, en apparence inoffensif et un rien amorphe, ce vigilante movie ne s'embarrasse pas de détours, posant d'emblée le camp des méchants au travers de la détresse de ce semblant d'homme, que la nouvelle de la libération du meurtrier de ses parents va soudain réveiller.
Le principe du scénario est simple : faire sortir ce personnage vulnérable de son état quasi-végétatif, en le confrontant à l'insupportable (la liberté de celui qui détruisit sa famille) et en l'obligeant à agir et à revenir au contact du monde. Mais l'homme est-il prêt à revivre sans éliminer le coupable, de sa mémoire comme de la surface de la terre ? La scène de rencontre entre les deux hommes, dans les toilettes d'un bar, donnera le ton du reste du film : ce sera sa propre famille ou celle de l’autre.
Au fil du film se pose une question : qu’est donc la blue ruin du titre ? S'agit-il de la voiture bleue à l'état d'épave dans laquelle dort cet antihéros ? Ou s'agit-il du personnage lui-même, sorte de fantôme errant dans un monde qui n'est plus sien, trimbalant son mal-être, sans se rendre compte des conséquences de ses actes. Il faut dire que la mise en scène, qui colle aux basques de notre ami, ne nous épargne rien, durant ses péripéties vengeresses, à la poursuite de cet assassin qu'il va lui-même devenir. Des quelques tirs d'armes à feu, aux jeux d’arbalètes, en passant par des chutes douloureuses en escaliers, on souffre pour ce tueur amateur, qui a bien peu de chance de s'en sortir tout seul.
Car l'intérêt principal du film, son scénario délicieusement tordu, s'il insiste sur le désir de l'homme de voir cesser une spirale infernale du œil pour œil, dent pour dent, s'amuse à embarquer dans l'aventure de potentielles innocentes victimes, comme la sœur, ses enfants, ou un pote, ancien soldat (personnage assez croustillant), utilisant ce dernier comme moteur de certains retournements de situations. Le réalisateur lui, joue avec nos nerfs, exploitant à merveille certains lieux, comme la maison de la sœur et celle du clan ennemi, ménageant ses angles de vue pour mieux surprendre. Entre angoisse et amusement, entre compassion et terreur, le spectateur est embarqué dans cette tourmente d'apparence sans issue, au côté de celui sans lequel "Blue Ruin" serait un film bien différent : l'acteur Macon Blair, cumulant, dans un intriguant mélange, un regard innocent, une attitude protectrice sans faille, et une sauvagerie difficilement canalisée. Ne pas découvrir ce personnage hors normes serait bien regrettable.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur