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BLOOD MACHINES

Un film de Seth Ickerman

Femen Technodrome

Un vaisseau spatial piloté par deux chasseurs de l’espace atterrit sur une planète où s’étend la carcasse fumante d’une machine tentant de s’émanciper. Une fois abattue, son âme s’extrait soudain de sa carcasse sous la forme du spectre d’une jeune femme nue qui s’envole vers les confins de l’espace. La course-poursuite commence…

Derrière le pseudonyme Seth Ickerman se cache en réalité un tandem de vidéastes français, Raphaël Hernandez et Savitri Joly-Gonfard, deux jeunes débrouillards nourris à la culture VHS et au système D à qui l’on doit cet ovni hors du commun qu’est "Blood Machines". Non pas un long-métrage à proprement parler, mais en réalité un petit trip futuriste de cinquante minutes – projeté dans les cinémas CGR en compagnie d’un making-of tout aussi long – dont la démesure, tant sonore que visuelle, honore en tous points le parcours du combattant et le sens de la débrouille qui ont caractérisé sa création. Trois ans furent en effet nécessaires pour en venir à bout, allant d’un financement via Kickstarter jusqu’à un tournage en mode « garage » (tout a été fabriqué à la main à partir de débris et de matières industrielles), avec comme ambition première de signer un pur hommage aux séries B fantastiques des années 80, visuellement impressionnant malgré un budget de cochon-tirelire. Au programme de la chose : des vaisseaux spatiaux au look bizarre, des femmes à poil par centaines, des éclairages fluo en veux-tu en voilà, et surtout la géniale synthwave du groupe Carpenter Brut (un nom qui ne trompe pas !). Un space-opera, donc, mais clairement plus space qu’opéra, qui se vit comme la prise d’une nouvelle drogue (ni dangereuse ni mauvaise pour la santé, ça change !).

Passons sur l’intrigue, relativement succincte, durant laquelle s’enchaînent des archétypes revisités (dont un antagoniste redéfini en Star-Lord vicelard) et des considérations théoriques sur l’âme cachée des machines (on a fait le tour de la question depuis que "Ghost in the Shell" existe). Passons encore plus vite sur cette idée farfelue d’une narration structurée en chapitres – un choix d’autant plus incongru qu’il casse à deux reprises la rythmique du montage. En fait, ne retenons que ce qui fait la puissance démoniaque de la chose : une sorte de roller coaster techno-diesel-punk, shooté dans une superbe esthétique « VHSisée », débordant d’effets spéciaux fous et de plans-séquences vertigineux, où le duo de cinéastes s’en donne à cœur joie pour laisser éclater sa créativité et son goût de la pure mise en scène. Si le duo réinjecte ici des éléments déjà présents dans leur fameux clip "Turbo Killer" (notamment les figures du pentagone et de la croix de Saint-Pierre), le taux de références explose le plafond pour essayer de définir le résultat. En vrac : c’est de la SF populaire passée à la moulinette rétro-queer de Bertrand Mandico, c’est "La Planète des vampires" de Mario Bava transformé en clip fluo de Jean-Michel Jarre, c’est une expérimentation à la Kenneth Anger teintée de réminiscences psyché de "Métal hurlant"… Et on pourrait continuer encore longtemps comme ça.

Ces clins d’œil ont surtout la prudence de ne pas encombrer le film. Tout serait en principe au rendez-vous pour laisser croire à un énième délire de fanboy, mais cet amas chimique de pop-culture, qui absorbe et brouille tout par la force commune du montage et de l’esthétique, est précisément ce qui confère au film son identité nouvelle. D’un bout à l’autre, l’ensemble se vit moins qu’il ne se saisit, porté par une énergie musicale hors du commun (les travellings spatiaux ont le relief d’une attraction à sensations fortes) et des idées plastiques subversives. La figure de la femme, ici centre de l’univers comme en atteste le plan final, devient vite l’enjeu central d’un récit qui invite davantage à une lecture féministe du monde qu’à se rincer l’œil devant une armada d’amazones callipyges. Il faudra attendre un climax abstrait et sensitif à souhait, où les couleurs saturées et les visions psychédéliques atteignent leur zénith, pour que "Blood Machines" révèle enfin sa nature brute et innovante. Pas un clip qui exhibe gratuitement ses effets de style, pas même un objet étrange qu’il s’agirait de percer à des fins intellectuelles, mais une création pure qui se vit de l’intérieur, reliant de ce fait notre propre schéma organique à ce territoire spatial revisité en dédale viscéral. Le fait qu’on en sorte avec les pupilles dilatées et un léger vertige suffit à prouver que le pari est totalement gagné.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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