BLINK TWICE
Se méfier du champagne qui dort
Frida officie en tant que serveuse à une soirée organisée par le milliardaire Slater King. Alors qu’elle rêvait de pouvoir lui parler, elle fait même mieux : elle lui tape dans l’œil, l’homme l’invitant à partir avec lui et ses amis sur l’île qu’il possède. Des vacances au paradis. À moins que ce soit l’enfer…
"Blink Twice", jadis envisagé sous le nom de "Pussy Island", faisait saliver les cinéphiles depuis plusieurs mois, aussi bien pour la promesse de son high concept que pour assister aux débuts de la talentueuse Zoë Kravitz derrière la caméra. Outrancière et sulfureuse, cette première réalisation se rêvait en brûlot féministe. Le résultat sera nettement moins enflammé que prévu, la faute probablement à une multitude de références pas totalement digérées par la néo-cinéaste. Ersatz des œuvres de Jordan Peele, le film nous transporte sur une sublime île où des riches de ce monde aiment se retrouver pour s’amuser. Pas d’activité précise, juste une fête sans fin, où le champagne coule à flot et où on se nourrit autant aux mets exquis qu’aux gouttes de MDMA. Frida n’était pas destinée à côtoyer cette élite dorée, elle qui avait été embauchée pour faire le service à une soirée mondaine sur le continent. Mais après avoir tapé dans l’œil du milliardaire Slater King, elle se voit inviter à ce havre de débauche. Loin de ses soucis du quotidien, accompagnée de sa meilleure amie, elle va pouvoir profiter de ce paradis inespéré.
Sans tuer le suspense, l’Eden inaugural va vite se transformer en enfer. Enfin, pas si rapidement que ça. Et c’est bien là l’un des gros défauts de ce métrage nébuleux, confondant mystère et redondance. Car même pour ceux qui ont réussi à éviter la bande annonce et les nombreux articles évoquant l’affaire dont s’inspire le scénario, on comprend presque immédiatement que quelque chose ne tourne pas rond, que cette euphorie d’apparence révèle quelque chose d’éminemment plus sombre, que ces sourires sont bien trop expressifs pour être sincères. Le temps n’existe plus, toutes les journées se ressemblent. Lundi, mardi, mercredi… Personne ne le sait. Mais les corps changent inéluctablement, des stigmates marquent les peaux. À force de nous rejouer la même mélodie, la tension s’estompe dans ce brouillard devenu trop pesant, trop artificiel. Jusqu’au point de non-retour, bascule d’un film qui trouvera son second souffle sur le chemin du revenge movie fancy, façon A24.
Si des énormes ficelles scénaristiques viennent conclure la plupart des questions en suspens, "Blink Twice" ne manque pas de style, avec son image léchée (le chef-opérateur est passé par la série "Euphoria"), ses séquences gores Girl Power qui nous rappellent aux bons souvenirs de "Promising Young Woman", et une bande son des plus entraînantes. Les imperfections sont visibles, parfois agaçantes ; les twists prévisibles. Pourtant, la petite magie opère, l’ensorcellement ne s’évapore jamais complètement. Peut-être parce que l’intérêt de l’ensemble résidait plus dans la manière avec laquelle Zoë Kravitz allait agencer son puzzle machiavélique que dans les pièces elles-mêmes. Avec un Channing Tatum dans l’un de ses meilleurs rôles, un casting prestigieux qui mêle des nouveaux noms, Adria Arjona et Naomi Ackie (révélation du biopic "Whitney Houston: I Wanna Dance with Somebody"), à un tout un tas de seconds rôles aux visages familiers (Christian Slater, Simon Rex, Haley Joel Osment, Geena Davis, Kyle MacLachlan…), ce thriller hybride entre "Midsommar" et la série "White Lotus" réussit à exprimer ses récriminations… avec rage, rappelant qu’on n’oublie pas et que les excuses bidons ne dupent personne. Ce qui constitue en soi un gain ô combien plus important que des critiques dithyrambiques.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur