Festival Que du feu 2024 encart

BLIND : UN RÊVE ÉVEILLÉ

Un film de Eskil Vogt

Quand l'imagination remplace la vue

Ingrid est aveugle depuis quelques semaines. Elle passe son temps à essayer de visualiser ce qui l'entoure mais elle ne quitte pratiquement jamais son appartement. Pour passer le temps, pendant que son mari s'absente pour son travail, elle écrit sur des personnages fictifs ou inspirés de gens qu'elle connaît…

À travers son premier long-métrage, le co-scénariste de l'excellent "Oslo, 31 août" nous plonge dans le mental d'une femme récemment atteinte de cécité. Il est bien rare de voir des films sur ce handicap et surtout si intelligemment traité. La douce voix-off d'Ingrid nous happe dès le départ, racontant d'abord comment elle tente de visualiser les choses, puis narrant la vie privée de personnes qu'elle semble intimement connaître. Ses descriptions embarrassantes sont truffées d'un humour doux-amer rappelant souvent la détresse de ces individus, mais de manière légère.

Ingrid est souvent seule. Son mari, Morten, est souvent au travail et il prépare de surcroît un événement pour un immeuble qu'il doit livrer. Isolée, mais à la libido bien active, elle se demande pourquoi il ne se laisse pas toucher. Alors, elle écrit, s'imagine qu'il la trompe et s'invente des histoires salaces. L'érotisme est très présent dans le film et Eskil Vogt capture toute la sensualité des pensées de son héroïne livrée à elle-même. On reconnaît également la patte du scénariste dans les dialogues et la narration subtile et délicate.

Car le récit est difficile à saisir. Le mélange constant de la réalité avec la fiction qu'est en train d'écrire Ingrid déroute et perturbe la lecture du film lorsque la frontière se fait de plus en plus ténue. Il faut finalement se rendre compte qu'Eskil Vogt nous a plongé, à travers le regard de cette jeune femme aveugle, dans l'univers de cette dernière, et que bien des plans que nous observons à l'écran ne sont en fait que le fruit de son imagination. C'est un vrai plaisir, tantôt de se laisser berner par cette narration, tantôt de tenter de discerner le vrai du faux. "Blind" stimule l'intellect aussi bien que les sens avec une adresse et un raffinement qui rendent l'œuvre unique et très intéressante.

Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT

Laisser un commentaire