BIRD
Une fable humaniste bouleversante sur un enfant tombé du nid
Bailey vit avec son frère et son père dans un squat. Malgré ses douze ans, elle est souvent obligée de gérer des situations d’adulte. Mais entre le mariage de son père à venir et sa puberté qui débute, l’adolescente a besoin d’attention. Et c’est en l’étrange Bird qu’elle va trouver un ami…
Après un étonnant documentaire sur une vache, "Cow", Andrea Arnold revient à un cinéma plus fidèle à sa filmographie, où les laissés-pour-compte sont mis dans la lumière, préférant toujours le naturalisme aux artifices clinquants. Mais cette fois, sa chronique sociale prend la forme d’un portrait déchirant d’une adolescente rebelle. Bailey vit dans un squat au nord de Kent, avec son frère et son père, dont le comportement ne suggère pas qu’il est le patriarche de la famille. D’ailleurs, il a prévu de se marier avec sa nouvelle copine. Quatre mois qu’ils sont ensemble, on est dans une relation longue. Pour Bailey, ce n’est pas un problème, elle a l’habitude des obsessions et des folies de son père. Et en plus, il a un plan pour se faire de l’argent, projet qui implique de la drogue et un crapaud. Non ce qui énerve le plus la gamine, c’est qu’on la force à porter une horrible robe léopard violette, à elle, le garçon manqué. Elle décide alors de claquer la porte, et durant ses pérégrinations, va rencontrer un homme qu’on surnomme Bird, début d’une aventure et d’une étrange amitié.
Poursuivant son exploration des classes sociales, la digne héritière de Ken Loach signe une nouvelle fresque poignante sur les marginaux, où la vitalité de son cinéma continue d’impressionner malgré le poids des années qui s’accumulent. Avec sa caméra au plus proche des corps, la cinéaste ne s’éloigne de ses protagonistes que dans de rares moments, lorsqu’elle décide de capturer également la nature, les insectes et les oiseaux qui construisent la musique de cette campagne dans laquelle le personnage principal aime tant se ressourcer. Loin du tumulte d’un monde bien trop violent, la jeune fille y trouve une échappatoire, un endroit de liberté et de sécurité dans lequel elle a le droit de se comporter comme une enfant de son âge, heureuse de marcher dans le sable et de courir dans l’herbe.
Triple récompensée à Cannes, la réalisatrice ose alimenter sa chronique de touches de fantastique, transformant sa peinture du paupérisme en un conte qui devrait vous rappeler un certain film français, présent l’année dernière sur la Croisette. Questionnant la figure paternelle, "Bird" réussit à transcender son scénario très (trop) prévisible par une émotion vibrante, où les petits détails produisent les plus grandes larmes. Comme souvent avec la Britannique, le métrage est accompagné d’une bande-son soignée et électrisante, et révèle de nouveaux visages. Entre la poésie de Franz Rogowski et les punchlines de Barry Keoghan, c’est bien Nykiya Adams dont on retiendra le plus la performance, saisissante de justesse dans le rôle casse-gueule de cette bambine obligée de jouer les adultes. Lumineux et onirique, "Bird" s’affirme comme une très belle ode à la jeunesse et comme l’une des premières sensations de cette édition 2024 du Festival de Cannes.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur