BILLIE HOLIDAY, UNE AFFAIRE D’ÉTAT
Une hagiographie terne et insipide
Après une chanson qui dérange les élites politiques, la star du jazz Billie Holiday devient alors une des cibles du gouvernement, à travers un agent de liaison, Jimmy Fletcher, engagé pour la faire chuter à cause de ses prises excessives de drogue. Problème : l’officier va tomber amoureux de la chanteuse…
Il existe des moments où au hasard d’une programmation cinématographique, des figures ressurgissent subitement sur le devant de la scène. Récemment, on peut penser au militant des Black Panthers, Fred Hampton, respectivement incarné par Daniel Kaluuya dans "Judas and the Black Messiah" et Kelvin Harrison Jr. dans "Les Sept de Chicago". C’est également le cas de Billie Holiday, à l’honneur d’un excellent documentaire, "Billie", composé intégralement d’enregistrements sonores, et donc de ce biopic de Lee Daniels. Évidemment, un tel phénomène n’est jamais fortuit, et retrouver Lady Day à nouveau sous les projecteurs n’est pas si surprenant que cela. À une époque où la parole féminine trouve enfin un écho politique et où le combat contre les inégalités raciales continue malheureusement à se conjuguer au présent, s’intéresser à cette femme « noire, belle et forte », pour reprendre une réplique du film, est presque logique. Car la vie de Billie Holiday fait partie de celles qui se narrent comme un roman, où les évènements sont bigger than life, les symboles bien plus puissants que les mots, et la tragédie bien réelle.
Après un "Paperboy" grandement rejeté par la critique et un "Majordome" boudé par l’Académie des Oscars, Lee Daniels espérait un retour en grandes pompes avec ce portrait stylisé d’une diva du jazz brisée par ses démons intérieurs. Le résultat sera hélas bien décevant, plombé par un classicisme sans inspiration et une multiplication maladroite des points de vue. Pour autant, le réalisateur avait pris le parti de se focaliser sur une période très précise de la vie de l’artiste, le début des années 40. La chanteuse est alors au sommet de sa réputation, depuis qu’elle a décidé de mettre en musique le poème « Strange Fruit », hymne dénonçant frontalement le lynchage connu par les populations noires. Probablement en raison du nouveau statut de la star, égérie de la lutte pour les droits civiques, le gouvernement décide de s’attaquer à elle à travers sa grande consommation de stupéfiants en tout genre et déploie sur le terrain un officier infiltré, qui finira par tomber sous son charme et se retourner contre sa hiérarchie.
Si cette trajectoire homérique est passionnante, le traitement est lui beaucoup plus facétieux, le cinéaste se contentant d’enchaîner les flashbacks et les effets de style rarement bienvenus (le sens des plans séquence, outre la démonstration d’une maîtrise technique, reste obscur). Hésitant entre se concentrer sur sa protagoniste et suivre les intrigues secondaires pour retranscrire l’atmosphère et le contexte de l’époque, le métrage se perd totalement dans des raccourcis scénaristiques, privant de toute sa rage l’énergie qu’aurait méritée l’ensemble. En ouvrant et en refermant le film sur des précisions concernant une loi anti-lynchage refusée à plusieurs reprises par les législateurs américains, Lee Daniels ne dissimule pas ses velléités politiques, son souhait d’ériger son drame autobiographique comme l’instantané d’une bataille politique et judiciaire qui court toujours - le titre original ne laisse d’ailleurs aucun doute sur cette volonté, "The United States Vs. Billie Holiday". Sauf que le metteur en scène a oublié qu’il n’avait pas besoin d’artifices pour concevoir sa grande fresque, son héroïne se suffisait en elle-même, tant par sa personnalité que par son destin extraordinaire. Malgré l’excellente performance d’Andra Day, ce biopic manque terriblement de corps et d’âme.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur