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BERGMAN ISLAND

Un film de Mia Hansen-Løve

Bienvenue à Bergmanland

Le temps d’un été, un couple de cinéastes s’installe sur l’île suédoise de Farö pour y écrire un scénario chacun de leur côté, lui en profitant pour présenter l’un de ses films. Sauf que leurs écrits finissent, au contact de l’île, par faire se confondre la réalité et la fiction. Ceci avec la figure tutélaire et fantomatique du « maître des lieux », à savoir le grand cinéaste suédois Ingmar Bergman qui avait autrefois élu domicile sur cette île…

Bergman Island film movie

On sentait venir le piège. Sous deux formes envisageables : soit un film ouvertement bergmanien qui se mangerait le mur à force de ne jamais arriver à la cheville d’une idole indéboulonnable, soit un drame intimiste qui se positionnerait à distance de la sensibilité du génie suédois à des fins théoriques. Après avoir vu le résultat, il apparaît clair que Mia Hansen-Løve avait senti venir ces deux obstacles, et s’est efforcée de les esquiver pour finalement en rencontrer un troisième, peut-être le plus embarrassant : un film trop placé à distance de tout (sauf des clichés) et qui s’échine obstinément à glisser sur la surface des choses. En gros, Bergman en tant que prétexte et pas en tant que sujet, et l’île de Farö en tant que décor et non pas en tant que milieu.

Rien ne sera plus difficile à encaisser pour le cinéphile que de voir le réalisateur de "Persona" expurgé d’un statut de figure tutélaire et fantomatique, et réduit à une simple « marque déposée », dans un monde moderne où la marchandisation de l’art prévaut sur toute autre approche. Certes, rien de ce que Mia Hansen-Løve dévoile ici ne relève de la fiction, puisque l’île de Farö est elle-même devenue un mausolée vivant de l’héritage de Bergman. Mais son regard est celui de l’admirateur qui se limite à visiter l’espace au lieu de se laisser visiter par lui. Bergman, son île, sa maison, son musée, ses proches, sa bibliothèque, son caractère de cochon, ses produits dérivés, ses films, sa salle de projection, ses paradoxes, ses admirateurs pédants, etc… Tout y passe pour la visite guidée de ce qui relève avant tout de la vitrine, du parc touristique, et même la Suède elle-même n’échappe pas non plus au défilé de clichés (on se meuble chez Ikea, on danse sur fond d’Abba, etc…).

Du coup, si Bergman est ici une surface sur laquelle le récit ne cesse de glisser, qu’est-ce que ce dernier peut lâcher pour se défendre ? Ni plus ni moins que la sempiternelle danse des paradoxes intimes et existentiels avec deux personnages en phase créative dans un milieu reculé, ce qu’Olivier Assayas avait déjà exploré avec mille fois plus de richesse dans "Sils Maria". On n’aurait d’ailleurs pas tort de citer le cinéaste français, car sa présence a ici plus de poids que celle de Bergman : au travers de l’histoire de ce couple de cinéastes embarquée dans une fausse « scène de la vie conjugale », on ne met pas plus d’un quart d’heure à reconnaître Mia Hansen-Løve (dont Vicky Krieps se fait très souvent le sosie trait pour trait) et Olivier Assayas (qui fut le compagnon de la réalisatrice jusqu’à leur rupture il y a cinq ans). Cette histoire de couple en crise, c’est très clairement la leur. X Cette manie des cinéastes français à vouloir se raconter eux-mêmes par un transfert cinéphile qu’ils finissent par ne jamais vouloir assumer, s’avère vraiment lassante, surtout quand il leur semble impossible d’extraire de leur vécu quelque chose qui puisse être intéressant pour autrui.

Bergman, lui, savait toucher à l’universel par un fabuleux mélange d’attention et de cruauté qui faisait un sacré effet sur la longueur. Ici, comme la surface semble la stimuler davantage que la profondeur, Mia Hansen-Løve en est réduite à sacrifier une à une toutes les pistes qui pourraient ajouter du peps, de la fibre, voire de la violence, à un récit somme toute trop terre-à-terre. Quid de ce scénario écrit par Tim Roth où pullulent les illustrations SM ? Quid de cette hypothèse adultère lâchée au détour d’une scission touristique dans le couple, l’un préférant la visite guidée quand l’autre se laisse tenter par la visite accompagnée ? Quid de cette seconde intrigue parallèle avec Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie ? Rien de plus que des pistes aussitôt lâchées aussitôt envolées, ou, dans le dernier cas, un récit qui adopte un faux vertige réalité/fiction vite anéanti par une scène finale qui singe le retour à la normale avec une tempête qui n’est jamais venue. Ne reste alors que la vitrine elle-même, à savoir le splendide décor de Farö qui conforte "Bergman Island" dans son emballage de « film-Ikea » : c’est joli, c’est cosy, c’est agréable, c’est bien taillé, c’est facile à monter, mais ça sonne un peu creux.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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