LA BELLE SAISON
Une grande histoire d'amour
Les détracteurs de la Palme d'or d'Abdellatif Kechiche, qui reprochaient notamment aux scènes de sexe entre filles de n'être qu'une vision fantasmée des rapports lesbiens par un hétérosexuel, trouveront dans "La Belle Saison" ce qu'ils se sont désespérés de déceler dans "La Vie d'Adèle" : une véritable histoire d'amour, passionnelle, et une description réaliste d'une sexualité entre femmes. Le film, simplement bouleversant, apparaît de plus comme une œuvre étendard, sur laquelle souffle une douce liberté, une histoire nécessaire à raconter, en contrepoint d'une société encore troublée par les séquelles d'une indigne Manif pour tous brandissant toujours, 40 ans après ce récit, la colère de Dieu comme punition et la perversion comme motivation principale de l'homosexualité.
Le film comporte, en effet, une réelle évocation des mouvements féministes des années 70, convoquant à la fois provocation, volonté de mettre les hommes face à leurs instincts dominateurs et désir de générer une prise de conscience de femmes souvent conditionnées pour servir l'homme. Outre les avancées évoquées en toile de fond, sur la liberté de parole ou la contraception, le scénario se concentre sur les inégalités dans le monde du travail, le choix d'un personnage travaillant dans une ferme n'étant pas anodin. Et il suffit de quelques dialogues bien sentis, au travers d'échanges avec les paysans du coin, pour afficher l'ampleur de la pensée de l'époque, comme notamment quand la question du salaire de la femme d'un propriétaire est évoquée, un fermier rétorquant avec un grand naturel : « C'est déjà bien qu'on les laisse piocher dedans » (le salaire du mari, pas le champ !).
Au niveau plus personnel, "La Belle Saison" décrit avec une acuité rare, les contradictions traversant ses deux principaux personnages, entre liberté affichée et vie intime. D'un côté Carole est confrontée à la notion de couple, ballottée entre indépendance revendiquée liée aux mouvements auxquels elle appartient, indépendance réelle vis-à-vis de son petit ami, et incapacité de se passer de Delphine. De l'autre, Delphine, devenue elle-même militante, est incapable d'assumer face aux hommes du village qui la traitent non pas comme une agricultrice, mais comme une fille d'agriculteur, et face auxquels son désir d'insertion déclenche une peur panique d'être découverte.
Traitant également avec justesse de la difficulté de vivre ou d’afficher son homosexualité en milieu rural, le scénario introduit ici une notion de sacrifice qui donne toute sa dimension dramatique au film. En plus de ne pas vouloir déplaire aux parents, Delphine doit s'occuper de la ferme et prendre le relais, dans un monde agricole qui n'est alors pas encore en déclin, où tout le monde se connaît et où sa profession est considérée comme un métier « d'hommes ». La peur du regard des autres, le fait de se mentir à soi-même pour éviter l'affrontement, les mensonges par omission, ou pire, le fait d'utiliser les autres pour « donner le change », chacun de ces comportements, des plus humains et instinctifs, est décrit dans le menu détail.
Mais le film ne serait rien sans ses formidables actrices. Au cœur du film, il y a le resplendissant duo formé par Cécile de France et Izïa Higelin, toutes deux à la fois radieuses au contact l'une de l'autre et incarnant à la fois dynamisme et volonté, dans un subtil mélange de force et de fragilité. Dégageant une incroyable sensualité, elles captent toute la magnifique lumière du film et se confrontent au personnage de la mère, interprété par une Noémie Lvovsky habitée, saisissante, notamment dans une terrible scène d'explication avec Cécile de France. Ensemble, elles donnent corps à un film déchirant, porteur d'espoir sans oublier quelques jolies larmes. Le premier grand film de la rentrée.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur