BELLE
Un conte japonais aux thèmes profonds et visuellement riche
U est une communauté virtuelle créée par 5 sages, qui revendique 5 milliards d’utilisateurs. Dans ce monde virtuel, l’avatar de chacun est créé automatiquement. Suzu, adolescente timide, qui vit dans un village de montagne seule avec son père, a pour double dans cet univers Belle, personnage qui lui a permis de chanter à nouveau, et qui devient emblématique et populaire, suivi désormais par des millions de followers… Mais alors que Suzu a du mal à exister dans le monde réel, elle fait la connaissance lors d’un concert donné dans un immense stade de U, de Dragon, une bête effrayante qui fait office d’anomalie dans le système, qui tente d’interrompre le spectacle…
Nouveau film du réalisateur d’animés Mamoru Hosoda, à qui l’on doit "Summer Wars", "Le Garçon et la bête" et "Les Enfants loups", mais qui avait surtout séduit les spectateurs cannois côté Quinzaine des réalisateurs avec l’intimiste "Miraï ma petite sœur", "Belle" a été présenté en avant-première au dernier Festival de Cannes, avant de faire l’ouverture à Lyon des Hallucinations Collectives en septembre dernier. Adaptation très libre de "La Belle et la bête", le film est avant -tout le portrait croisé de deux adolescents solitaires et différents, nous immergeant dans un monde virtuel, où tout semble possible, mais qui reproduit finalement les contraintes du monde réel (traque des anomalies par les « justiciers » en blanc, jalousie envers les gens populaires…).
Introduisant rapidement la situation de Suzu (elle a perdu sa mère et s’avère incapable de chanter depuis), mais aussi ses camarades de classes (Luke, jeune fille populaire qu’elle admire, Kamishin, garçon un peu marginal, Shinobu, ami d’enfance fidèle et joueur de basket, Hiro, une amie qui va l’aider…), "Belle" alterne entre scènes oniriques ou grandioses dans l’univers virtuel, et quotidien d’un lycée japonais typique, donnant à voir timidité, hésitations et élans amoureux des adolescents. Traitant avec délicatesse, dans ses scènes situées dans le monde réel, de thèmes comme le deuil, la maltraitance et l’exclusion, le film s’éloigne rapidement de la petite bluette lycéenne, pour mieux aborder passage à l’âge adulte et affirmation de soi.
Doté de quelques fulgurances visuelles, de par la multitudes de décors et l’appréhension des grandes échelles (l’immense stade sphérique, le château qui s’effrite...), l’animation traditionnelle atteint cependant ses limites lorsqu’il s’agit de traiter les foules ou l’aspect « numérique » du monde virtuel (ce ne sont pas ici les plans les plus réussis). Une certaine émotion se dégage tout de même des quelques moments chantés, où Suzu devenue Belle, exprimant sans honte son malaise intérieur. Le film mêle ainsi habilement préoccupations ou modes adolescentes, et vocabulaire lié aux réseaux sociaux et aux médias amateurs, tout en adjoignant derrière le drame qui se joue, quelques pointes d’humour. Une belle réussite, qui donne un sacré coup de jeune au conte du XVIIIe siècle, en prouvant une nouvelle fois le caractère intemporel.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur