LA BELLE JEUNESSE
Génération sacrifiée
Une jeune femme n’arrive pas à trouver un emploi. Son petit ami travaille sur un chantier et accepte parallèlement de donner des coups de mains pour des déménagements. Tous deux semblent sans avenir dans une Espagne en proie à la crise économique…
Orfèvre dans la description du quotidien des gens, Jaime Rosales filme avec acuité les difficultés et errances de la jeunesse espagnole, frappée de plein fouet par la crise. Au discours tonitruant et rageur de la Catalane Isabelle Coixet ("Ayer no termina nunca"), le réalisateur de "La Soledad" préfère une approche quasi documentaire, scrutant la manière dont la misère et les difficultés financières mettent à mal à la fois la structure des couples et celle de la famille en général. C’est ainsi que dès le départ, la mère de la fille s’inquiète pour l’avenir de son glandeur de frère, créant des tensions au sein d’un cocon qui devrait être rassurant.
Mais du portrait de classiques adolescents, inconscients et peu respectueux, on passe en quelques ellipses à l’avalanche d’emmerdes (licenciement, débrouille qui tourne mal, tentation de l’exil à l’étranger...), dessinant en arrière-plan et sans aucun jugement, la possibilité d’argent facile (le tournage dans un porno, l'espoir d'une indemnité à base d'arnaque...) comme seule option possible. Rosales analyse ainsi les dynamiques de survie, les espoirs déçus, l’effet vitrine de la vie et de l'argent des autres, soulignant au passage le manque de responsabilité des jeunes hommes (la discussion en parallèle entre le groupe de mecs, parlant Google, et les femmes, parlant travail).
Faisant évoluer ses personnages dans le temps, grâce à des ellipses un peu rébarbatives à base de technologie moderne (listes de textos sur des écrans de téléphones portables, conversations par Skype, échanges de photos sur mobiles…), le cinéaste semble avoir du mal à dynamiser son sombre récit. Si l’intrusion de cette technologie banalisée n’a pas grand intérêt, elle permet de gérer les sauts dans le temps et autres déménagements. On l’oubliera vite, pour retenir au final la belle discussion entre la mère et sa fille sur la difficulté d’être mère, et surtout quelques phrases choc qui résument assez bien l’état d’esprit d’une génération sacrifiée consciente de son sort, telles « 600 euros, qui gagne ça en une heure » (à propos du film porno) ou « pas besoin de connaître l’allemand pour nettoyer les chiottes ». Édifiant.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur