BEAUTIFUL MISS JIN
Le goût des autres
Présenté en compétition au 14e festival du film asiatique de Deauville, ce premier film sud-coréen réussit une jolie prouesse : celle de faire rire en montrant une misère sociale et affective sans équivoque. En effet, à une triste réalité qu’est la paupérisation des populations et la précarité de l’emploi dans les villes en plein développement, vient s’opposer ici le quotidien d’apparence légère d’un groupe de SDF délurés. Leur principale occupation : jouer à cache-cache ou à un-deux-trois soleils avec Petite Fleur, l’adorable fillette qui leur colle aux basques. Bien sûr, il s’agit de montrer comment des individus, par instinct de survie, en viennent à dépasser leur détresse personnelle pour réapprendre à vivre aux côtés des autres. De plus, le film n’occulte en rien les aspects difficiles de cette vie sursitaire, montrant les combines des uns et des autres pour gagner quelques pièces (mendier en se faisant passer pour aveugle, se faire offrir un café au distributeur et récupérer la monnaie…). Simplement, il révèle une facette quasiment inédite de la vie de sans-abris, fondée sur la solidarité, la générosité et la convivialité.
Il est vrai qu’avec son caractère bien trempé, Miss Jin (impressionnante Jin Sun-Mee) transforme cette vie qui pourrait être insupportable en un théâtre de vie, provoquant tantôt l’admiration (chez Soo Dong par exemple, happé par tant d’humanité), tantôt la stupeur. En témoignent les quelques scènes où elle fait tourner en bourrique, par son simple bagout, une bande de jeunes irrespectueux ou des gamins moqueurs. Le film est d’ailleurs très drôle, enchaînant les tranches de vie surréalistes et les instants décalés : Miss Jin déambulant en pyjama à cœurs et pantoufles blanches dans les couloirs de la gare, ou encore Miss Jin subtilisant la télécommande de l’écran de la salle d’attente pour regarder sa série préférée… A croire que rien n’atteint cette Miss Jin, dont on ne connaît ni l’âge ni l’histoire. C’est d’ailleurs un peu le cas pour tous les personnages, puisque les origines de la fillette et le passé du gardien sont eux aussi soigneusement occultés. Seul l’ivrogne, dont la détresse est palpable pendant tout le film, concentre la dose de drame requise dans un tel film.
Voici donc un film agréablement léger, anti-misérabiliste au possible, qui laisse poindre par touches une émotion certes prévisible mais jamais écrasante. Espérons qu’il sera possible de le découvrir bientôt dans les salles françaises.
Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur