BACK TO BLACK
Back to Basics
Amy Winehouse est une jeune étudiante qui rend visite à sa famille dans le quartier d’Enfield à Londres. Depuis toujours passionnée de chant, Amy se laisse convaincre par son père et sa grand-mère qu’il faudrait songer à faire quelque chose de cette voix si unique. Commence alors pour l’artiste une courte mais immense carrière qui encore aujourd’hui résonne dans nos oreilles…
Depuis le succès monstre de "Bohemian Rhapsody" de Bryan Singer, avec plus de 900 millions de dollars de recettes à travers le monde, les studios ont vu évidemment une opportunité dans les biopics de chanteurs disparus. Non pas que le genre du biopic ait attendu ce faux film sur Queen pour s’établir comme un format que le public affectionne tout particulièrement. On peut jeter un œil en arrière jusqu’en 1917 avec le "Cléopâtre" de J. Gordon Edwards, mais nullement besoin de remonter jusque là, encore récemment un métrage était dédié à Bob Marley, sobrement intitulé "Bob Marley : One love" de Reinaldo Marcus Green, et aussi à pléthore d’autres avant lui. Genre prolifique, il est néanmoins sclérosé par une partie de l’industrie qui s’échine à retranscrire proprement une fiche wikipédia en image. Non loin de nous l’idée de remettre en question le plaisir éprouvé devant une œuvre aussi scolaire soit-elle, mais nous nous sentons obligés de toujours pointer du doigt un film qui ne raconte pas son histoire en images mais l’illustre seulement.
Il existe finalement très peu d’intérêt à suivre une histoire au cinéma où il n’y aurait pas besoin d’images pour nous le raconter. C’est comme filmer une séquence de concert. L’hésitation entre rendre ça corporate (au hasard, "Bohemian Rhapsody") ou y mettre de son âme malgré les excès et fautes de goûts (notre bon cher "Elvis" de Baz Luhrmann en 2022, qui fracassait la baraque) rend les choses souvent incertaines quand on rentre dans une salle pour voir un métrage issu de ce genre. Surtout quand juste avant de s’installer confortablement on aperçoit le nom de la réalisatrice qui nous a offert "50 Nuances de Grey" (2015), on se dit forcément qu’on s’est embarqué dans une galère. Force est de constater que Sam Taylor-Johnson a le mérite de fournir un produit calibré, assez joliment emballé (entendez par là des plans correctement construits et une jolie lumière) et qui met en avant la musique d' Amy Winehouse plus que ses déboirs.
Le point de vue d’Amy prévaut tout le film (hormis deux trois scènes) et nous permet de la rendre accessible et finalement proche de nous. L’actrice Marisa Abela (plus habituée aux séries) est le point d’attraction du métrage tant elle s’approche d’une réalité déconcertante : incarner un être connu de tous et décédé. Pendant un instant, l’illusion fonctionne parfaitement et nous ne voyons que le personnage d’Amy Winehouse. Une ressemblance dans la voix, des mimiques et expressions faciales très poussées qui forcent l’admiration, et toutes les étoiles de cette critique lui sont consacrées. Pour ce qui est du reste, le film respecte les clous du chemin bien codifié du film biographique : de l’exposition à n’en plus finir, une mise en scène effacée au possible même lors des séquences musicales et aucune prise de risque histoire de ne froisser personne. La famille Winehouse aurait aimé le film et c’est tout ce qu’on peut leur souhaiter.
En 2015 le documentaire d’Asif Kapadia, "Amy", dévoilé à Cannes, avait déclenché des polémiques et un rejet total de la part de la famille. Alors déjà, une artiste aussi Jazz qu’Amy Winehouse ne méritait certainement pas un film aussi sage et finalement à côté de la plaque quand il nous place nous même comme voyeurs de sa déchéance. Vous les connaissez, ces plans à l’épaule avec beaucoup de flou en arrière plan et le personnage qui titube tellement il a abusé de la poudreuse. Au lieu de faire dans la sobriété, le film dans son classicisme enfonce la porte du cliché de représentation et ne fait finalement pas mieux que les tabloïds de l’époque. Nous mettant encore nous, en position de voyeurs conscients ou non, de la descente aux enfers. Mais nous sommes en droit de nous poser la question, n’était-il pas tout simplement trop tôt? Sa mort remonte à 2011 et finalement 10 ans c’est peu. Mieux vaut un métrage comme celui-ci qui ne fait que rendre un hommage lisse (mais respectueux au dire de la famille) ou un film comme le documentaire cannois qui nous place finalement dans une position délicate et prompt au débat ?
Peut-être que le cinéma c’est aussi ça, proposer une vision, faire parler plus son image que ses acteurs et toujours donner de quoi nourrir les conversations d’après séances. Toujours est-il que la légitimité de créer du profit sur une artiste morte il y a une dizaine d’années aura toujours du mal à passer pour nous, surtout lorsqu’on constate que la seule personne à s’être investie à fond dans le projet avec une envie réelle c’est l’actrice principale. À quand un film sur Grégory Lemarchal produit par TF1 ? Ah merde, ils l’ont déjà fait ("Pourquoi je vis ?" de Nicolas Douay).
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur