BABYLON
Babylon : docu-fiction social d’une musique et d’un peuple en marge
Blue et sa bande de potes vivent à Brixton, un des quartiers pauvres du Sud de Londres, au tournant de la décennie 80. Dans un pays raciste au quotidien, ces jeunes noirs n’ont qu’un seul dieu vers qui se tourner pour garder un peu d’espoir au cœur de cette Babylone qui les déteste : Jah Rastafari et les plaines de Zion qu’ils font résonner dans leur sound system clandestin…
"Babylon" est l’histoire d’une musique, une musique qui s’incarne dans un peuple et dans un mode de vie : le rasta. Un mode de vie qui a eu bien du mal à s’exporter et à s’adapter à la grisaille et à la pauvreté urbaine européenne. Londres était la Babylon vendue aux Jamaïcains lors de la décolonisation de l’île en 1962. Cette nouvelle Babylon promise à ceux du peuple rasta qui allaient quitter leur petite île, pour une autre, plus grande, qui devait les accueillir à bras ouverts. C’est une tout autre réalité qui se présente à Blue et aux autres jeunes rasta de sa communauté. Ils ne sont pas comme leurs aînés, qui ont connu autre chose. Eux sont nés ici, entre le fog et la grisaille. Et pourtant, on les insulte, on les menace, on les traque et on leur frappe dessus. Ils sont systématiquement précarisés et incompris. Leurs seuls moments de joie, de liberté, leurs grandes cérémonies en quelques sortes, dans des clubs clandestins, au gré des vibrations des énormes sound systems faits main, sont illégaux.
Au-delà de la chronique sociale, "Babylon" est aussi un grand film musical et un film sur la musique. Derrière la bande originale du film, il y a Brinsley Forde et Jah Shaka, que l’on retrouve également face à face dans la battle qui ouvre et clôture le métrage. Si l’un est le « King », l’autre est un jeune lion dont le rêve est que son beat soit le plus écouté de la capitale anglaise. Mais pour cela, il faut se faire connaître, il faut donc organiser une battle avec un grand public. Or, les gens ne savent pas que ce genre d’événement, clandestin, a lieu. Les organisateurs doivent trouver un moyen de faire de la publicité, sans trop en faire, car la police pourrait débarquer. Une fois le lieu et le public trouvés, il faut du matériel, un sound system compétitif, des gros caissons qui vont pouvoir répondre à l’arsenal que va déployer Shaka. Donc il s’agit de vider le petit local, un ancien garage sous une ligne de métro et de charger un camion de déménagement... mais pourquoi pas emprunter une enceinte à l’école publique et vendre une télé pour pouvoir s’en acheter une autre ? Ces contingences techniques résolues, il faut trouver un « beat », un 33 tours que personne n’a encore entendu et qui fera résonner les mots. Un beat venu tout de droit de la mère patrie, la Jamaïque. Et après tout ça, il faut un sujet, une histoire à raconter, un combat à mener, et c’est exactement ce que propose le film. Blue va raconter son histoire, ce qu’il vit et ce qu’il connaît.
"Babylon" (inédit depuis sa présentation au Festival de Cannes en 1980) est une réussite, difficile, sans fard et violente, qui incarne des problématiques encore très contemporaines. Un film qui a pour lui la sincérité et l’implication de ses acteurs. Complètement partial, le film raconte cette époque du point de vue de la minorité exclue, mais a aussi l’intelligence de mettre, au milieu de ce groupe de jeunes noirs, un blanc, qui est caractérisé exactement comme eux, sa couleur de peau n’étant donc pas prise en compte jusqu’à une scène, où le racisme change de camp, suite aux oppressions et à la violence systématique. Par son intermédiaire, ce que l’on comprend, c’est que les haines raciales sont intimement liées à des haines sociales. Par son intermédiaire, le film gagne en profondeur, et le spectateur, comme Blue, découvre alors un nouveau degré de lecture sur ce qui se déroule devant ses yeux.
Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur