AU DOS DE NOS IMAGES
Les paroles s’envolent, les écrits restent
Le documentariste Romain Baudéan découvre le récit autobiographique de Bernadette, dite « Badé », sa grand-mère bipolaire qui s’est suicidée une quinzaine d’années auparavant. Avec ces écrits, des photos et films de famille, ainsi que des entretiens avec certains proches, il cherche à comprendre qui était vraiment son aïeule et ce qu’elle a vécu…
Si l’on a vu l’excellent "Carré 35" d’Éric Caravaca, le documentaire "Au dos de nos images" a des allures d’écho en ce sens qu’il débute comme une quête intime se donnant pour mission de dépoussiérer des tabous familiaux, à l’aide d’archives et de témoignages. On retrouve aussi, ponctuellement, la thématique de la trisomie 21 et la façon dont cette maladie était perçue par les anciennes générations (la vieille tante évoque ainsi son frère en l’appelant « le petit trisomique » sans préciser son prénom). Enfin, les deux réalisateurs filment çà et là leur propre fils, comme une pulsion de vie permettant de compenser les aspects mortifères de leurs enquêtes respectives.
Si le film de Romain Baudéan semble moins universel que celui de Caravaca, c’est sans doute parce qu’il rencontre moins la grande Histoire que ne le faisait "Carré 35". Mais cela ne signifie pas qu’il est sans intérêt, loin de là. Malgré quelques longueurs, "Au dos de nos images" s’avère touchant et parfois fascinant. Avec une grande sensibilité, le réalisateur parvient notamment à rendre un bel hommage au talent littéraire de sa grand-mère, avec de nombreux extraits de ses écrits lus par des membres de la famille ou par la douce voix de la comédienne Audrey Bonnet. Cette autobiographie à la troisième personne, où son aïeule se donne pour pseudonyme « Fleur de sel », donne un aperçu original et bouleversant de sa détresse et de ses souffrances.
Progressivement, apparaît le portrait d’une femme complexe, qui se montre paradoxalement libre et battante alors même que tout semble l’avoir freinée et contrainte. On perçoit la manière dont elle a subi la maltraitance d’une inhumaine psychiatrie expérimentale (à base d’électrochocs et de traitements chimiques), mais aussi la façon dont la réalité lui apparaissait si décevante par rapport à l’amour idéalisé qu’elle attendait.
« Ce n’était que du cinéma, je peux le jurer », écrivait-elle. Pour sa part, Romain Baudéan fait à la fois du vrai cinéma et une enquête sincère pour accéder à la vérité. En étant constitué de fragments épars, son documentaire donne parfois une impression de désordre, mais cela revêt finalement une certaine pertinence avec le projet même du film : la quête de réel est en soi impossible et les véritables réponses demeureront inatteignables car les morts les emportent avec eux. Pourtant, quand le film se clôt, il est clair que cette quête n’a pas été vaine, ne serait-ce que parce qu’elle a redonné un peu de vie aux vivants !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
Au dos de nos images I Bande-annonce from Romain Baudéan on Vimeo.