ATOMIC BLONDE
Charlize taurine
On ne voit pas très bien quelle autre actrice aurait pu incarner aussi précisément l’héroïne d’"Atomic Blonde" : pas seulement parce que les aptitudes de femme d’action chez Charlize Theron ont su être magnifiées dans quelques blockbusters récents ("Aeon Flux", "Mad Max Fury Road", "Fast & Furious 8"…), mais surtout parce que cette brillante actrice ne cesse de donner l’impression de jouer double – voire triple – jeu à force de sauter d’un genre à l’autre et d’un projet à l’autre. Ici, on peut dire qu’elle avait enfin trouvé le terrain de jeu idéal pour décliner toute la panoplie de l’action-star badass et pulpeuse, aussi à l’aise dans la baston frontale que dans le full frontal. La présence de David Leitch à la réalisation avait logiquement vendu ce film comme un énième dérivé du mollasson "John Wick", lui-même déjà dérivé de l’efficace "Un tueur pour cible" d’Antoine Fuqua, lui-même déjà sous influence d’un cinéma d’action hongkongais qui avait toujours eu un coup d’avance sur le genre. Aurait-on donc encore affaire à l’actionner décérébré de l’été, destiné à un public mâle en manque de testostérone entre deux séances de bronzage ? Non. Est-ce une surprise ? Pas tant que ça…
Sachant qu’un roman graphique d’Antony Johnston et Sam Hart est à la base d’"Atomic Blonde", on ne mettra pas plus de dix minutes à saisir que le taux d’exigence et d’ambition a été clairement revu à la hausse, surtout après avoir constaté la faiblesse du système one shot, one kill d’un Keanu Reeves dépourvu du moindre charisme. Contrairement à la saga "John Wick", l’action dans "Atomic Blonde" n’obéit qu’à un seul critère : de la brutalité à l’état pur. Ceux qui gigotaient comme des malades sur leur siège en découvrant "The Raid" seront ici au paradis : non seulement Leitch réussit à faire durer ses séquences d’action le plus possible – notons une hallucinante baston en plan-séquence à la sauce Alfonso Cuaron dans un immeuble – et à faire preuve d’une sacrée inventivité dans la chorégraphie des scènes, mais il parvient surtout à les inscrire dans un univers qui fait mine de chahuter un peu les règles du monde réel par l’intermédiaire du registre pulp. En effet, le film prend place au moment où les revendications sociales de la jeunesse berlinoise se préparent à faire s’effondrer le mur de la honte (retour aux années 80, donc), et c’est ici que Leitch, fin stratège de la topographie, s’amuse à transformer la capitale allemande en une véritable souricière schizo, à la fois grisâtre et néon, bondée d’appartements délabrés et de clubs interlopes sous acide.
Sous l’effet d’une narration à la "Domino" (un interrogatoire musclé qui engendre un long flash-back riche en ambiguïtés), Leitch trouve évidemment le moyen de renforcer cette instabilité. Plus l’intrigue avance, plus son pitch à la "Mission Impossible" (qui saura retrouver cette mystérieuse liste d’agents secrets avant l’ennemi ?) semble moins cousu de fil blanc, aboutissant à un vertige narratif assez dingue sous l’effet d’une cascade de twists imprévisibles. De cette façon, le visuel et le narratif se rejoignent sur le même objectif : donner un coup d’avance au spectateur avant de lui révéler qu’il a tout faux. Un jeu d’échecs qui a vite fait de virer au trip hallucinatoire, purement formel et acide, qui abuse fièrement de détails volontiers aguicheurs pour créer le doute sur un univers où tout n’est que fantasme pur, des enjeux réels de la mission jusqu’aux identités flottantes de tout un chacun.
Tout y passe alors : un montage blindé de transitions sur le mode « cases de bande dessinée », de l’esthétisme néon sous très haute influence de Nicolas Winding Refn, une Charlize plus taurine et femme fatale que jamais (notons une garde-robe particulièrement caliente !), un emploi particulièrement malin d’une BO très 80’s dans l’âme à des fins de couverture narrative (s’y croisent Nena, David Bowie, Depeche Mode et même la musique de Tétris !), le 7e Art qui joue lui aussi les agitateurs politiques au cours de la mission (dans une scène, on se bagarre ici dans un cinéma qui projette le très subversif "Stalker" d’Andreï Tarkovski), du sexe soft lesbien avec la Française Sofia Boutella, et bien sûr, de l’ultra violence salvatrice que Leitch rend perturbante en raison du mystère identitaire des personnages – qui se fait passer pour qui et dans quel but ? Prototype rêvé d’actionner sous acide qui flatte autant la rétine que la méfiance, "Atomic Blonde" se savoure comme un bon cocktail alcoolisé et bien glacé qui fait un drôle d’effet au fur et à mesure qu’on le digère. Clairement le genre de spectacle que l’on va voir en cherchant avant tout la détente, mais qui réussit à presser doucement cette dernière pour mieux nous prendre par surprise à la fin. C’est cool. C’est super cool, même.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur