Festival Que du feu 2024 encart

AS BESTAS

Un film de Rodrigo Sorogoyen

Un néo-western virtuose

Antoine et Olga, un couple de français, a décidé de s’installer dans un village de Galice. Avec leur implication dans la vie locale, retapant gratuitement des maisons en ruines pour attirer à nouveau du monde, ils devraient être appréciés par les autres villageois. Mais leur opposition à un projet d’éoliennes a attisé les flammes d’un conflit bien plus profond…

As Bestas film movie

À entendre la voix murmurante de Thierry Frémeaux, délégué général du Festival de Cannes, regretter que le projet soit arrivé si tard aux yeux des sélectionneurs, on pouvait espérer le signe d’un grand film. L’intuition était la bonne, "As Bestas" est l’un des meilleurs films projetés cette année sur la croisette, et sa place était par conséquent en compétition plus que dans la sélection « Cannes Première ». Depuis quelques années maintenant, Rodrigo Sorogoyen est devenu un étendard du cinéma espagnol, érigé en roi de cette nouvelle vague du polar, plus poisseux et ancrés dans le réel. Avec cette réalisation, il confirme avec brio son talent, additionnant ses obsessions et schémas narratifs : les joutes verbales qu’on trouvait déjà dans "Stockholm", récemment ajouté sur Netflix, la maestria de ses plans séquences, son intérêt pour les deuils impossibles, et ce don pour faire naître le frisson d’un simple détail, transformer l’anodin en terrifiant. Car chez le metteur en scène, le thriller n’est jamais spectaculaire ou sensationnel, il surgit du second plan, d’un regard, d’une situation où un mot a entraîné un dérapage incontrôlé.

Construit en deux parties, l’une reprenant l’âpreté de "Que Dios nos perdone" ou "El Reino", l’autre plus proche de "Madre", le métrage s’intéresse à la vie d’un couple français exilé dans un village perdu au cœur des montagnes galiciennes. Désireux d’une vie plus proche de la nature, ils se sont établis en Espagne pour pratiquer une agriculture écoresponsable tout en retapant bénévolement les ruines des demeures abandonnées afin d’attirer de nouvelles familles. Ce qui devrait leur attirer les louanges locales leur vaut pourtant les menaces et les regards hostiles, notamment parce qu’ils ont osé s’opposer à un projet d’éoliennes, promesse d’une rentrée d’argent inespérée pour les habitants. Cette affaire est d’ailleurs probablement plus un prétexte que la source du conflit, symbole de deux mouvements difficilement réconciliables : ceux qui fuient la ville pour se rapprocher de la campagne et de son cadre supposé paisible, et ceux qui fuient les terres, épuisés par des années de dur labeur pour quelques euros seulement, en direction des grosses agglomérations, où l’argent serait plus facile.

C’est dans ce contexte que le réalisateur plante son décor, celui d’un drame sous tension constante, aussi bien social qu’intimiste. Autopsie d’une pensée xénophobe et plongée saisissante au cœur des rouages nocifs d’un conflit de voisinage, "As Bestas" est une véritable claque, une œuvre sous apnée où le stress est réel, probablement renforcé par l’authenticité dingue du jeu de Marina Foïs et Denis Ménochet. Si les superlatifs sont réguliers pour les deux comédiens, leur prestation est ici époustouflante et devrait, on l’espère, leur apporter une pluie de récompenses. Au point d’engendrer eux-mêmes le seul défaut du film : le personnage de la fille, plus caricatural (et pas aidé par une actrice confondant colère et hystérie). Mais ce petit couac ne viendra pas atténuer notre plaisir cinéphile devant un récit miroir dyadique où chaque partie trouve sa quintessence dans un plan séquence impressionnant, où les mots sonnent plus forts que les coups. Rodrigo Sorogoyen rejoint officiellement le clan des très grands. Et la prochaine fois, la Compétition officielle du Festival de Cannes ne devrait pas l’oublier.

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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