ARTHUR RAMBO
Un film dans l’air du temps, qui vise particulièrement juste
Karim D., jeune écrivain issu de la banlieue, engagé dans une web tv qui connaît un vrai succès, vient de publier son premier livre, intitulé Débarquement, qui parle notamment de sa mère. Lors d’une soirée organisée par son éditeur, il est même contacté pour en faire un film. Mais alors qu’il savoure sa toute fraîche célébrité, des tweets anciens, provocateurs et orduriers, qu’il écrivait sous le pseudo Arthur Rambo, sont soudains déterrés des réseaux sociaux…
C’est à nouveau un sujet dans l’air du temps qu’a choisi de traiter le cinéaste Laurent Cantet ("Entre les murs", "Retour à Ithaque", "L'Emploi du temps", "Ressources humaines"…). Il s’inspire ici, avec ses deux co-scénaristes, Fanny Burdino et Samuel Doux, du destin de Mehdi Meklat, jeune homme d’origine maghrébine, animateur radio, dont la carrière littéraire a été anéantie en quelques instants en 2017. Leur scénario dresse ainsi le portrait complexe d’un garçon de banlieue, particulièrement médiatisé, dont le destin va basculer à cause de publications ordurières et provocatrices qu’il postait sur les réseaux sociaux, certains ayant fait le rapprochement entre son personnage public et le pseudo évocateur qu’il utilisait dans le passé : "Arthur Rambo".
Après avoir posé le caractère factice de l’utilisation des réseaux sociaux par l’éditeur lui-même, évoquant des tweets positifs « téléguidés » pour créer le buzz autour de son livre, le film bascule d’une ambiance chaude et festive (l’interview télé, la soirée…) vers des ambiances plus froides et son sujet central : le lynchage médiatique. Mais au-delà, le film de Laurent Cantet interroge sur le poids des mots et la responsabilité de ceux qui les écrivent. Si ceux-ci « ne livrent pas le mode d’emploi avec » leur prose, souvent efficace et ironique (l’auteur ici flingue à tous va, s’attaquant aussi bien aux juifs qu’aux violences policières…), l’effet d’entraînement négatif est ici mis en évidence. Un effet d’entraînement que le scénario met aussi en avant au travers du lâchage progressif du jeune homme par tout on entourage, l’espace pour se défendre lui étant accordé de moins en moins, même dans la sphère privée.
Rabah Naït Oufella (l’un des jeunes acteurs de Cantet dans "Entre les murs", palme d’or à Cannes en 2008), incarne avec brio ce jeune homme à qui tout semblait réussir, et auquel tous semblent vouloir désormais tourner le dos, ceci avec un détonnant mélange d’assurance et de duplicité. Quant au metteur en scène, il crée une véritable tension, en suggérant le danger autour de son personnage, par la posture même de sa caméra et de ses voisins dans un métro où beaucoup ont les yeux rivés sur leur portable, et en usant du contraste entre les textes des tweets (qui s’affichent à l’écran) et la naïveté apparente d’un personnage. Laurent Cantet distille ainsi le doute sur la bonne foi de ce dernier, jusque dans l’esprit du spectateur. Et au final, il parvient à poser les bonnes questions sur un monde actuel où la course à l’info et au buzz médiatique provoquent aussi bien des excès verbaux irresponsables que des fanatismes irréfléchis.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur