ART COLLEGE 1994
Art School Existential
Campus de l’Académie des Arts de Chine, 1994. Dans un contexte d’ouverture du pays au monde occidental, un groupe d’étudiants découvre peu à peu la vie d’adulte où amours et amitiés se confrontent aux grands idéaux et ambitions personnelles. Perdus entre tradition et modernité, ces jeunes gens vont devoir décider qui ils souhaitent devenir…
On sait depuis "Have a nice day" il y a quelques années, à quoi s’attendre avec le style animé et narratif du réalisateur chinois Liu Jian. À savoir une dynamique avant tout verbale, intégrée dans des plans fixes et aussi figés que ne le sont les personnages à l’intérieur. Sauf qu’en choisissant d’intégrer le cocon très particulier des étudiants en art, déjà visité en leur temps par Terry Zwigoff ("Art School Confidential") et Sean Ellis ("Cashback"), le réalisateur se frotte à une matière thématique qui risque de froisser les personnes ciblées. Non pas parce que les lapalissades les plus éculées sur l’art et la notion de « performance » pullulent dans chaque ligne de dialogue, mais parce qu’un solide humour à froid se taille ici la part du lion, ne ratant jamais une occasion de lâcher cynisme et amertume au détour d’une phrase ou d’injecter brutalement une rupture de ton au sein de ce qui devrait n’être qu’un cadre de vie étudiante lambda. Et quand bien même le récit demeure centré sur quatre étudiants (deux garçons en peinture, deux filles en musique) confrontés à des choix décisifs pour leur avenir, on sent que l’intérêt du récit est à dénicher bien au-delà du premier plan.
La densité du scénario est en soi à l’épreuve de toute critique, tant le film brasse au travers de dialogues très bien écrits de fortes questions existentielles et donne la priorité aux réflexions philosophiques des étudiants sur tout ce qui caractérise une œuvre d’art (est-elle pérenne ? son esthétique est-elle décisive pour cela ? conditionne-t-elle la reconnaissance du talent de l’artiste ?). Aucun point de vue n’a ici l’avantage sur les autres, Liu Jian faisant en sorte de les télescoper au sein d’une narration plus ou moins chorale, avec des caractères très divergents en guise de vecteurs (les hommes ne se projettent pas dans une carrière précise tandis que les femmes s’interrogent déjà sur la valeur du mariage et des études). Par ailleurs, le détail apporté au décor (en l’occurrence un environnement étudiant qui suinte tantôt la banalité tantôt la décrépitude) facilite l’immersion dans un quotidien universel qui, bien que situé dans la Chine de 1994, pourrait tout aussi bien franchir les frontières et les époques. Dans l’ensemble, on pense parfois à un certain cinéma d’auteur chinois (celui de Jia Zhangke par exemple, qui prête d’ailleurs sa voix à un des personnages) qui parvient à incarner une certaine forme de spleen sociétal, aussi bien par la précision du dialogue que par la construction du cadre. Les partis pris du réalisateur ne manqueront pas de diviser, c’est certain, mais en tant que chronique sociale à part entière, "Art College 1994" mérite le détour.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur