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ARMAND

Une immense Renate Reinsve pour un drame audacieux et poignant

Des parents d’élèves sont convoqués à l’école. Armand aurait eu un comportement inapproprié envers Jon, au point où l’institution doit prendre des mesures. À moins que le récit des adultes ne soient pas aussi clair qu’il n’y paraît…

Selon l’adage, les chiens ne font pas des chats. Ce n’est pas Halfdan Ullmann Tøndel qui va dire le contraire. Petit fils de la légende Ingmar Bergman, le jeune homme ne semble pas trop souffrir de ce lourd héritage, lui qui vient d’être auréolé de la Caméra d’Or au Festival de Cannes pour son premier long métrage, "Armand". Si le titre évoque le personnage d’un enfant, celui-ci sera complètement invisible à l’écran, le film se concentrant sur les adultes. Huis-clos anxiogène, son ouverture nous invite à découvrir une école à l’extérieur luxueux, mais dont les fissures à l’intérieur, cette alarme défaillante et les lumières récalcitrantes paraissent raconter une autre histoire. À l’image de ce lieu, il ne faudra pas se fier aux apparences, c’est aux failles et aux blessures que va s’intéresser l’objectif du cinéaste norvégien.

Armand aurait commis un acte problématique envers un autre garçon, Jon. La mère du premier et les parents du second sont ainsi convoqués pour venir discuter de cet évènement au sein de l’établissement scolaire. C’est alors par des bruits de pas, le cliquètement de ces boucles d’oreille qu’on va rencontrer Elizabeth. Actrice à la carrière balbutiante, elle surgit dans la pièce avec son manteau rouge de cuir rouge sang. Pas de doute, elle sera la méchante de l’intrigue. À moins que… Face à elle, la famille de Jon présente bien, ils sont calmes et posés et sont à l’origine de cette réunion. Ils auront le bon rôle dans ce drame intimiste. À moins que… De l’autre côté du bureau, une jeune enseignante qui donne l’impression de réviser « La Médiation pour les nuls » essaye tant bien que mal de montrer qu’elle maîtrise la situation. On a du mal à saisir ce qui s’est véritablement passé entre ces deux gamins, tout le monde parle avec une extrême précaution. Mais quelque chose sonne bizarrement, les rapports entre les protagonistes présentent des motivations plus profondes que la simple résolution de cet incident.

Premier vrai choc du Certain Regard 2024, "Armand" impressionne par sa mise en scène étincelante, lente autopsie d’une implosion devenue inévitable. Mais au-delà de parfaitement jouer avec les sous-entendus et les relations de l’ombre, le film bouleverse par la manière avec laquelle il parvient à poser des questionnements extrêmement complexes sans jamais sombrer dans le moralisme. Peut-on juger le comportement d’enfants par le prisme de notre regard d’adulte ? Est-ce qu’un geste a la même signification s’il est perpétré par un bambin de 7 ans ? Est-ce qu’un parent n’aura pas toujours tendance à interpréter déraisonnablement les dires de sa progéniture ? Est-ce que la vérité des plus petits est toujours irréfutable ? Autant d’interrogations qui animent les réflexions passionnantes d’une œuvre riche et foisonnante qui chamboule les sentiers battus de la chronique familiale.

Comme souvent dans les grands films, le scénario n’est pas le seul élément qualitatif. Le travail sur le son est particulièrement admirable, donnant à l’ensemble une atmosphère proche d’un récit surnaturel, où des fantômes pourraient surgir à chaque instant. Mais si "Armand" émeut autant, c’est aussi beaucoup grâce à l’immense performance des actrices. Ellen Dorrit Petersen, remarquée dans "Thelma" et "The Innocents", livre une prestation intense, toute en colère retenue, mais c’est Renate Reinsve qui nous offre une nouvelle fois le meilleur numéro. Déjà époustouflante dans "Julie (en 12 chapitres)", la comédienne signe une démonstration de jeu ahurissante, à l’instar de cette séquence de rire, volontairement interminable. Si le métrage se perd dans sa dernière partie à vouloir multiplier les symboliques, le résultat demeure un drame déchirant, inspiré et esthétique, qui marque les débuts d’un réalisateur très prometteur. Halfdan Ullmann Tøndel, pas facile à retenir, mais bientôt indispensable !

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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