ANTEBELLUM
Un propos fort et d’actualité desservi par sa forme balbutiante
Au cœur de l’Amérique esclavagiste, une jeune femme essaye d’échapper à son sort dans les champs de coton et à la perversité de son geôlier, le sénateur Denton…
Une campagne de promotion peut-elle nuire à la qualité d’un film ? Ce sujet de dissertation pour étudiants en cinéma viendrait ainsi interroger la manière dont le marketing influence notre perception d’une œuvre, au point d’altérer notre vision de celle-ci. À ce titre, le travail effectué autour d’"Antebellum" est bien un cas d’école, synopsis officiel et bande annonce révélant allégrement le twist majeur du métrage. Si ce choix pourrait impliquer que l’intérêt du film se trouve ailleurs que dans un faux suspense narratif, la réalité est toute autre, cette nouvelle production de Jordan Peele ("Get Out", "Us") reposant intégralement sur son concept. Les mécanismes scénaristiques sont en effet si présents qu’ils transforment le script en protagoniste principal, assumant parfaitement de délaisser d’autres aspects (caractérisation des personnages, esthétisme, rythme) au profit de cette idée matricielle à laquelle les réalisateurs Gerard Bush et Christopher Renz croient dur comme fer.
L’intrigue commence dans un champ de coton d’une Amérique esclavagiste où la guerre de sécession fait déjà rage. Au milieu de la perversité des geôliers, une jeune femme ne perd pas l’espoir de connaître des jours meilleurs, encaissant les coups et les humiliations tout en préparant son évasion. Entre "12 years a Slave" et "Autant en emporte le vent", cette première partie, avec ses teintes saturées et ses clairs-obscurs, initie le basculement vers le cinéma de genre et l’épouvante, promis par le matériel publicitaire. Malheureusement, le cœur de ce thriller s’avère une succession redondante de dialogues bien trop étirés, lorsque l’épilogue réserve lui un dénouement des plus bancals.
Ne trouvant jamais la bonne tonalité pour s’attaquer frontalement à leur sujet, le racisme systémique et sa persévérance dans les mœurs américaines, "Antebellum" devient une vulgaire sur-explicitation de son concept, là où celui-ci aurait dû être les fondations d’un récit bien plus tranchant et angoissant. Jamais vibrant ou anxiogène, avec des tentatives d’humour ratées, le métrage se voit relégué au statut de série B quelconque, où les personnages deviennent interchangeables tant ceux-ci sont sacrifiés au fur et à mesure des minutes. Ce qui est particulièrement frustrant quand certaines séquences viennent nous rappeler à quel point les deux cinéastes savent tenir une caméra avec style. Le propos reste plus que jamais d’actualité, dommage que sa matérialisation à l’écran soit si peu transcendante.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur