ANSELM
Une 3D parfaitement adaptée
Le processus créatif et les lieux importants de la vie de l’artiste contemporain allemand Anselm Kiefer, vus par la caméra 3D d’un metteur en scène né presque au même moment, Wim Wenders. Un voyage immersif dans ses influences et ses œuvres les plus marquantes…
Wim Wenders a fait son grand retour à Cannes cette année avec deux films. L'un était une fiction, intitulée "Perfect Days", film résolument contemplatif entièrement tourné à Tokyo et s'intéressant aux petits riens du quotidien et qui valut à son acteur principal le prix d'interprétation masculine. L'autre était un documentaire, présenté en séance spéciale, rejoignant ceux, déjà à part, qu'il a pu mettre en scène, et qui s'intéressent non pas à la vie des artistes, mais à leur art, ne convoquant leur passé que pour mieux signifier son influence : "Buena Vista Social Club", "Pina"... Avec "Anselm", il filme aussi bien des peintures, des dessins, des sculptures, des bâtiments que des paysages, nous transportant sur les lieux de l'enfance d'Anselm Kiefer, dans les montagnes de l’Odenwald où il travailla de 1972 à 1982, dans son atelier et ses réserves de Croissy, près de Paris, mais aussi à Barjac, où l'artiste déménagea l’année suivant sa rencontre avec le cinéaste, en 1991.
Né comme Wenders, juste après la Guerre, l'homme semble avoir été marqué par les ruines de son pays, une époque de reconstruction, où la génération d'avant se cherchait un futur tout en voulant tourner le dos au passé. Des robes moulées vides de corps rythment ainsi des paysages plus ou moins minéraux, des morceaux de bâtiments comme déconstruits, dans l'apparence d'un équilibre précaire, viennent imposer leur taille. Le spectateur découvre aussi bien les œuvres sur site, que remisées dans un grand hangar, où Anselm nous guide à vélo, esquissant avec la caméra comme une danse aérienne au milieu d'éléments massifs et imposants : matériaux, blocs, livres géants, toiles immenses... Sa mise en évidence du passé nazi participe du devoir de mémoire qui semble imprégner sa carrière, jusque dans la série de photos d'un salut nazi réalisé en différents lieux, en France, Suisse et Italie, qui créa forcément la polémique.
Mais Wenders ne se contente pas de capter quelques moments de création (la flambée au chalumeau d'éléments sur des toiles imposantes, est particulièrement marquante, même en noir et blanc…). Il efface les limites entre influences, passé et présent, en osant quelques reconstitutions de l'enfance de l'artiste, ou en évoquant la poésie de Paul Celan, laissant entendre des murmures de femmes autour des robes fantômes, évoquant de ci de là des mythes, et allant jusqu'à faire se rencontrer l'homme et cet enfant qu'il fut autrefois. Visuellement saisissant, "Anselm" l'est autant de par les œuvres de l'artiste elles-mêmes, que par la langueur des plans qui les accompagne ou nous les font pénétrer, nous révélant au passage l'immensité par une 3D qui saisit parfaitement la moindre profondeur.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur