ANNÉES EN PARENTHÈSES 2020 - 2022
Un patchwork de constats et d’impressions, assez inégal
Hejer Charf, réalisatrice, scénariste et productrice canadienne d’origine tunisienne, a vécu ses deux années de pandémie à Montréal. De 2020 à 2022, ses projets ont été annulés. Observant l’actualité depuis ses confinements, elle a alors demandé à des amis et connaissances, de lui envoyer des images et sons, représentant leurs ressentis en cette étrange période…
Le besoin de tourner a amené Hejer Charf, dont c’est le quatrième long métrage en 20 ans (elle a aussi réalisé quelques vidéos, courts ou installations), après "Les Passeurs" (fiction, 2003), "Autour de Maïr" et "Béatrice un siècle" (documentaires, 2015 et 2019), à condenser dans un documentaire-essai, les images envoyées par des proches ou connaissances, avec des éléments d’actualité qui ont pu la frapper. Se mêlent ainsi des témoignages intimes, des poèmes, mais aussi des images d’archives, faisant échos aux mouvements Black Lives Matter, aux révolutions arabes, aux disparitions multiples d’intellectuels ou d’artistes, voire aux mouvements pour la défense des peuples natifs ou encore contre les violences policières.
Voulant sans doute n’oublier personne, l’autrice nous perd un peu entre des considérations politiques, féministes, poétiques, créatrices, et des témoignages très inégaux, en forme comme en intérêt, livrés ici dans une structure toute relative. Faire un peu le tri dans ce qui résonne par moments comme de l’entre-soi d’intellectuels ou d’artistes, éloignant ainsi le spectateur lambda, qui manque cruellement d’informations sur le rôle ou le contexte de chacun, n’aurait pas été un luxe. Car tout ici semble traité, dans un montage ponctuellement maladroit, sur un pied d’égalité, qui finit par écraser les quelques moments d’émotions, les plus contemporains : un SDF qui juge du peu de changement, car « les gens pratiquaient déjà la distanciation sociale » avec lui avant le Covid, un jeune homme précaire aux USA, qui a vécu le confinement dans sa voiture, évoquant une semi-liberté grâce à son job de livreur de repas, ou une dame regrettant qu’elle soit « considérée comme vieille » et donc privée de liberté de mouvement…
Si une bonne partie du métrage est orientée vers la démonstration de l’argument de départ, comme quoi le Covid a accru les inégalités et renforcé la colère dans les populations, c’est en même temps vers le constat d’un avortement de certains mouvements que le film bascule peu à peu (les contestations en Algérie, au Liban ou en Tunisie notamment…). Mais le métrage est aussi l’occasion de tenter d’affirmer un point de vue (humaniste, féministe, anarchique, anti-capitaliste…), sur les processus de colonisation, les luttes pour l’égalité des droits, le traitement des personnes âgées dans les sociétés occidentales, qui reste cependant relativement désordonné, tout sujet semblant répondre ici aux autres. Ceci d’autant plus que le film est rythmé par des décès, dont est sciemment ignoré le lien ou non avec la pandémie (Hélène Châtelain, actrice de "La Jetée" de Chris Marker, Moufida Tlatli, réalisatrice tunisienne de "Les Silences du palais" et "La Saison des Hommes", ou Jean Luc Godard et son suicide assisté…).
Reste un film constat, tentant laborieusement de tirer de multiples sujets politiques ou sociaux, et dont les moments de poésie (quelques textes de chansons, écrits ou poèmes, égrenés de-ci de-là, une chorégraphie, une danse improvisée...) ne parviennent que rarement à générer l’émotion, tant un sujet en chasse rapidement un autre. Au final, si on a bien du mal à saisir l’optimisme de ce documentaire, même si l’on sent que le coronavirus, s’il a permis de malheureuses reprises en mains autoritaires, n’en a pas moins attisé certains mouvements sociétaux légitimes, on se dit que le tout aurait mérité un choix entre l’approche intime et l’approche militante.
Nota : Ce film est projeté uniquement au cinéma L’Épée de bois, à Paris, en remplacement de sa présentation dans le cadre du cycle « Découvertes » du Saint-André des Arts, récemment supprimé. La réalisatrice sera présente à de nombreuses séances, dans les premières semaines d’exploitations, accompagnée de protagonistes du documentaire ou d’invités.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur