ANATOMIE D'UNE CHUTE
Dissection d’un couple en déséquilibre
Sandra, une écrivaine à succès, vit dans un chalet sur les hauteurs de Grenoble avec son mari, Samuel, et leur fils Daniel. Un jour qui ressemble à tant d’autres, Samuel est retrouvé mort au pied de leur habitation, victime d’une terrible chute. Faute d’explications tangibles quant à la nature de l’événement, Sandra est bientôt placée en accusation. Un long procès démarre alors…
Tout commence par une tension. Une tension entre deux inconnues, qui pourrait s’apparenter à de la séduction (notez bien le conditionnel) ; et une tension sourde, entre un mari et sa femme. Sourde, ou plutôt aveugle, puisque tout ce qui se joue ici ne se voit pas, mais s’entend autant qu’il se devine. Sandra, écrivaine à succès, est interviewée par une jeune étudiante en littérature. Alors qu’elle retourne le rapport établi en passant d’interrogée à interrogatrice, une musique tonitruante se fait entendre à l’étage, là où travaille son mari. Incapables de poursuivre l’entretien à cause du niveau sonore, les deux femmes se voient obligées d’écourter leur rendez-vous, la musique reprenant en boucle discontinue.
Voilà. Sans un mot en trop, sans un détail de narration en plus, voilà comment Justine Triet nous raconte tout ce que nous avons besoin de savoir à ce stade sur la relation entre ses deux personnages principaux. "Anatomie d’une chute" est un film dénué de tout gras, musclé par une mise en scène fine comme une coquille d’œuf, servant un scénario privé de toute explication superflue.
Après "La bataille de Solférino", "Victoria" et "Sibyl", Justine Triet continue sa réflexion sur les rapports de force dans le couple, et, plus particulièrement, sur la place du pouvoir concédé dans son intimité à la femme qui « veut tout avoir ». Sandra, est le reflet de celle qui a réussi à tout obtenir : une carrière littéraire couronnée de succès, un mari qu’elle qualifie « d’âme sœur », un fils et un beau chalet dans la montagne. Une réussite qui sera pourtant bientôt utilisée contre elle par un procureur aussi zélé que cassant (Antoine Reinartz, délicieusement méchant), durant son procès pour meurtre, alors que Samuel - l’âme sœur en question - a été retrouvé mort au pied de leur habitation, victime d’une terrible chute.
"Anatomie d’une chute" est donc un film de procès, durant lequel le spectateur est invité au même titre que les jurés à analyser Sandra et Samuel sous toutes leurs coutures. Qualités de l’un et défauts de l’autre, vie passée, dispute présente ; une analyse digne de 50 séances de thérapies de couple condensées, sur laquelle plane la menace de la prison plutôt que celle du divorce.
Un film, récompensé de la Palme d'Or du Festival de Cannes 2023, maîtrisé de bout en bout, qui nous tient en haleine autant pour sa conclusion que pour tous les enjeux que le drame soulève : la charge mentale dans le couple, la construction émotionnelle d’un pré-adolescent (Milo Machado Graner, très juste dans un rôle complexe), la liberté d’une femme à agir comme un homme selon les clichés de notre société actuelle…
Amande DionneEnvoyer un message au rédacteur