ANAMNESIS
Exercice périlleux
Une équipe de tournage tente d’approcher la personnalité d’un meurtrier emprisonné, Stefan S., condamné à perpétuité, et ayant déjà servi près de 12 ans à la prison de Brandenburg. Celui-ci refusant que l’on voit son visage, deux marionnettistes sont embauchées pour rejouer certaines scènes avec une poupée de la taille d’un enfant. Mais peut-on vraiment saisir qui est vraiment cet homme ?
Comment approcher la psyché d’un tueur ? Ou comment objectiver la représentation que l’on se fait de celui-ci ? En réinterprétant des rencontres avec Stefan S., à l’aide d’une voix-off commentant par exemple une promenade en forêt avec lui (sa première sortie accompagné depuis son incarcération), ou de scènes de thérapie rejouées avec une marionnette à l’étrange aspect d’un enfant, Chris Wright et Stefan Kolbe tentent de répondre a cette difficile question. Intercalant des interviews d’un psychiatre l’ayant eu comme patient et les paroles du prisonnier lui-même, les documentaristes tentent de décrypter son sentiment de culpabilité, découvrant au passage des éléments tus ou oubliés. Mais ils gardent cependant sous le coude l’énoncé du jugement, afin de laisser le spectateur se faire sa propre idée.
Pour mieux étayer leur démonstration, ils montrent à la fois les lieux de sortie, illustrant par des allégories certains passage de la vie de Stefan. Une fresque murale en relief, est ainsi longuement parcourue alors qu’on explore son enfance. Une école déserte et délabrée vient en renfort. Des usines servent à illustrer ses postes successifs, des banlieues pavillonnaires le rêve qui le mènera jusqu’au drame. Le choix de montrer des lieux vides pour représenter son univers carcéral (chaises disposées en rond pour la thérapie de groupe, fauteuils face à face pour les séances avec son psy, chaise unique disposée face à une fenêtre pour sa cellule, le tribunal examinant la remise en liberté sous tutelle…) paraît au final judicieux, l’homme se construisant dans son absence de contact réel avec les autres, par le discours, jusqu’à réinventer son passé pour mieux s’insérer et tisser une relation pas forcément désirée.
Ne cachant nullement d’ailleurs dans les dernières scènes, la gêne occasionnée par le processus tout entier, dévoilant le caractère possiblement intéressé du prisonnier, qui pourrait voir dans l’équipe de tournage une possibilité de sortie, même ponctuelle, le documentaire parvient à créer un réel malaise. Quant à la récurrence du thème du fil, lié à la fois à l’un des postes occupé en usine, il reste une belle parabole du besoin, fort humain, de lien qui transparaît au final.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur