AMIN
Le cœur entre deux rives
Amin est Sénégalais. Il travaille en France sur des chantiers et vit dans un foyer avec des travailleurs originaires du même village que lui. Quand il rentre au pays, il cache dans ses chaussettes son argent et celui de ses copains pour subvenir aux besoins de la communauté et des familles. De retour en France, Amin doit creuser une tranchée chez Gabrielle, avec qui il entame une liaison…
Trois ans après "Fatima", ce très beau portrait de mère musulmane, Philippe Faucon pose à nouveau son regard sur les déracinés, ceux qui ont quitté leur pays natal pour gagner leur vie et qui ont laissé une part d'eux-mêmes, quelque part sur le continent africain. Amin, lui, n'est pas venu en famille. Sa femme et ses trois enfants vivent toujours au Sénégal. Les trop rares fois où il rentre chez lui, les enfants ont grandi et Amin peine à les reconnaître. Ceux-ci aimeraient tant partir avec lui pour vivre en France, mais la communauté passe avant tout. Amin préfère donc être seul plutôt que de subvenir aux besoins de sa famille à Paris et ne pas avoir suffisamment d'argent pour entretenir l'école de son village. S’il s'exile, c’est pour que les enfants de chez lui puissent étudier et faire prospérer la communauté sans avoir à partir.
Incarnée principalement par Amin, cette souffrance de l'éloignement est aussi ressentie par les autres protagonistes du film. Abdelaziz, le gentil monsieur qui ne sait pas dire non, travaille depuis si longtemps en France qu'il a maintenant deux familles : une au Maroc et une dans l’Hexagone. Ses premiers enfants lui reprochent de les oublier en faveur de son nouveau foyer, et ses deux filles nées en France ne connaissent rien du pays où il est né. Un sacrifice bien mal payé car, exploité par des contremaîtres sans scrupule, ce vieil ouvrier ne touchera qu'une retraite misérable faute de n'avoir jamais été déclaré.
Aïcha, la femme d'Amin, subit, elle aussi, les répercussions de cette vie de famille en pointillé. Son mari étant loin, elle doit s'imposer face à un beau-frère étouffant, qui considère qu'elle ne peut rien gérer seule. Ces entraves qui l'empêchent de mener sa vie comme elle l'entend trouvent un écho en France, dans la situation de Gabrielle. Divorcée, cette mère de famille compte bien profiter de sa nouvelle vie de célibataire, mais son ex-mari la harcèle régulièrement comme s’il avait des droits sur elle.
Portraits d'existences sacrifiées au profit d'"une vie meilleure", le film de Philippe Faucon voit large et analyse le problème dans son ensemble. Avec son style épuré qui sait capter l'essentiel, le cinéaste s'attache à présenter chacun de ses personnages dans ce qu'ils ont de plus sincère. Certes, le fait qu’Amin ne soit pas seul dans cette galerie de portraits dilue quelque peu cette sensibilité d'écriture qui faisait toute l'émotion de "Fatima" ou plus récemment celle de "Fiertés" (la mini-série diffusée sur Arte en mai dernier). Quoiqu'il en soit, le fait d'évoquer la question du déracinement sous des angles de vue différents permet aussi d'en analyser les rouages et les conséquences, ce qui est tout aussi prenant.
Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur