AMERICAN SNIPER
Un drame de guerre dur et âpre, magnifiquement porté par Bradley Cooper
Chris Kyle est devenu une légende grâce à ses exploits sur le front d’Irak. Sniper émérite des Navy SEAL, comptant plus de deux cents noms à son tableau de chasse, ses talents commencèrent à faire sa renommée. Obsédé par le fait de sauver ses camarades, il en oublie progressivement sa propre vie, délaissant ainsi sa famille. Chacun de ses retours au pays s’avère ainsi de plus en plus compliqué…
Basé sur une autobiographie, « American Sniper » n’a cessé de déchaîner les passions outre-Atlantique depuis sa sortie. Manifeste républicain pour les uns, œuvre patriotique pour certains, apologie des armes à feu pour d’autres, le film suscite autant d’amour que de rage. Moqué sur les réseaux sociaux, attaqué par certains intellectuels, montré du doigt par Seth Rogen ou Michael Moore, l’objet filmique s’est transformé en un outil de lutte idéologique et politique. Pourtant, dans ce biopic ultra-réaliste, il y a largement de quoi parler Cinéma, et de grand Cinéma qui plus est.
Cela commence par un tank, puis l’objectif laisse apparaître un convoi. Sur le toit, deux hommes observent attentivement l’avancée de celui-ci. L’un tient avec minutie son fusil à lunettes à la main. Il est le « sniper le plus redoutable de l’histoire américaine », il est Chris Kyle. Les mouvements de la caméra sont bercés par son souffle haletant. D’un coup, il aperçoit un homme, ainsi qu’une mère et son fils. Ce dernier semble posséder un obus. Le militaire se concentre, rapproche son doigt de la gâchette, attend légèrement. Et un coup de feu retentit, mais il s’agit de Chris Kyle lorsqu’il était jeune, un voyage aux origines du mythe vient de débuter. Avec son sens aiguisé du montage, Clint Eastwood nous plonge dans l’adolescence de ce redneck élevé à la viande de taureau.
Très tôt, on lui apprend que dans la vie, il y a trois catégories : les moutons, les loups et les chiens de berger. Il sera un chien, fidèle et protecteur, prêt à tout pour sauver la meute. Avant que la guerre ne le corrompe, le métamorphosant progressivement en loup solitaire. Car à l’exception de la scène finale, jamais il n’y aura dans ce film une glorification de son héros, Eastwood se servant des aptitudes incroyables du protagoniste pour mieux montrer l’horreur de la guerre, l’éloge d’un physique pour faire ressortir les tourments intérieurs, les souffrances qui ne se répareront jamais. Du bourbier irakien à son cocon américain, chaque balle tirée changera l’homme, chaque mort impactera inéluctablement sa vie de famille.
Outre la performance puissante d’un Bradley Cooper bodybuildé, on savoure également la maestria de Papi Eastwood qui magnifie une nouvelle fois le classicisme pour le mettre au service d’un scénario bien plus ambigu et psychologique qu’il n’y paraissait au départ. Transformant le film de guerre en western, où le héros se retrouve à affronter un autre mystérieux, reflet de lui-même, au cœur de terres poussiéreuses, Clint Eastwood nous offre un énième drame bouleversant. Car sous les muscles, c’est bien aux fêlures d’un homme traumatisé par la guerre qu’il s’intéresse.
Derrière son apparence simpliste et manichéenne, « American Sniper » est une œuvre éminemment complexe, un manifeste pacifiste et une réflexion intense sur la déshumanisation engendrée par cette guerre sans gloire. Sur un rythme soutenu, le cinéaste nous balade entre un foyer où les stigmates de la guerre sont partout et les zones de combats où ceux-ci nous sont livrés abruptement, sans artifice. Les balles fusent, les bruits sont assourdissants, l’image est sublime. Depuis longtemps, le réalisateur n’avait pas atteint une telle poésie visuelle, un esthétisme qui trouvera son apogée dans cette tempête de sable où les corps disparaîtront progressivement, épais manteau de poussière qui éloignera définitivement Chris Kyle du front. La vraie légende, c’est bel et bien Clint Eastwood…
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur