ALL WE IMAGINE AS LIGHT
Et de 3 pour l’émancipation des Indiennes en 2024 !
Prabha, infirmière à Mumbai dont le mari a émigré en Allemagne depuis plusieurs années, vit en colocation avec une jeune collègue, Anu. Alors que Prabha se refuse le droit de flirter avec un médecin de son hôpital, Anu a une relation secrète avec un jeune homme…
Le cinéma indépendant indien est décidément florissant cette année : après "Santosh" et "Girls Will Be Girls" (dans lequel jouait aussi Kani Kusruti), voici donc "All We Imagine As Light". Trois films, trois réalisatrices, trois premiers longs métrages de fiction, trois façons d’aborder la condition féminine en Inde. Et bel et bien trois regards différents, qui se complètent. Il n’est pas surprenant que ce film ouvertement féministe ait reçu le Grand Prix lors du dernier Festival de Cannes, de la part d’un jury présidé par Greta Gerwig.
À partir de l’utilisation équivoque du mot « Light » dans le titre, Payal Kapadia met en scène un film à la photo sombre où il faut s’accrocher aux espoirs lumineux, même s’ils peuvent sembler discrets. Lucide sur les droits des femmes indiennes mais refusant un strict pessimisme, "All We Imagine As Light" suit le parcours de trois femmes, et plus particulièrement de deux que tout semble opposer mais que les enjeux de liberté réunissent : l’une paraît accepter avec fatalité ce que la société attend d’elle, l’autre est bien décidée à vivre plus ou moins librement tout en restant cachée. Dans les deux cas, la pression sociale est étouffante.
Frontalement ou subtilement selon les aspects, la réalisatrice bouscule les codes et les normes de son pays. Dans la forme, elle agrémente son film de choix musicaux surprenants, utilisant tantôt les mélodies de piano à la fois douces et entêtantes de la compositrice éthiopienne Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou (et ce n’est pas un hasard car c’est une figure féministe) qui peuvent donner l’impression d’être transportés bien loin de Mumbai par la magie du son, tantôt la musique électronique planante créée par Topshe (notamment dans une fin qui peut apparaître comme un appel à la modernité). Mais le plus frappant, c’est la volonté manifeste de Payal Kapadia de briser les tabous du cinéma indien, en s’autorisant à montrer une poitrine nue, des baisers langoureux, une scène de sexe (certes soft mais érotique et centrée sur le plaisir du personnage féminin) ou encore une femme en train d’uriner (là aussi sans exhibition excessive, évidemment). Ainsi, réalisatrice et personnages partagent le même combat d’une irrésistible et nécessaire émancipation.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur