ALIS
Un dispositif exigeant, pour de réelles confidences et une véritable émotion
Colombie. Dans un refuge de Bogota, 8 adolescentes sont interrogées lors d’entretiens, filmés devant leurs casiers, sur Alis, une camarade de classe qu’elles doivent imaginer…
Teddy Award du meilleur documentaire au Festival de Berlin 2021, mais aussi Ours de cristal dans la section Generation 14Plus, "Alis" est un documentaire à part, aussi bouleversant que difficile à saisir au premier abord. Il faudra donc du temps au spectateur pour faire connaissance avec toutes ces jeunes femmes, dont les parents ne peuvent s'occuper, vivant dans une institution publique de Bogota, et ne voyant leurs familles qu'une fois par mois. Toutes, au travers de ce portrait imaginaire dont elles esquissent des bribes de caractère ou de souvenirs, livrent en réalité quelque peu d'elles-mêmes, mine de rien. Et l'émotion naît ainsi petit à petit, face à un soudain étranglement de voix, une larme qui coule...
Entre les entretiens avec elles, filmés face caméra devant leurs casiers (dont l'un affiche le nom d'Alis, histoire de mieux brouiller la limite entre réalité et fiction), le réalisateur et la réalisatrice donnent à voir des détails de leur environnement ou de leur quotidien, créant au passage quelques paraboles sur leurs situations. Les longs travellings sur les lits superposés font place à des scènes où les moustiquaires n'empêchent pas une certaine promiscuité. L'une des peluches réconfortantes qui trônent sur leurs lits ou qu'elles tiennent lors d'un des entretiens, est chahutée dans une immense machine à laver, comme le symbole d'une innocence perdue. La caméra filmant leur danse endiablée lors d'un moment festif, se concentre sur leurs ombres portées sur un mur plus que sur leurs corps, comme si elles ne pouvaient exister qu'en partie dans la société et dans cette joie.
Interrogées, ces adolescentes révèlent ainsi des détails sur leurs souvenirs familiaux (des moments « où tout allait encore bien »), la tentation de la mort, les abus sexuels, la violence du pays, l'espoir d'un possible futur, mais aussi le rapport à l'amour. Les questions de genre et d’orientation sexuelle sont omniprésentes, qu'il s'agisse de celui qui se fait appeler David, ou de moments de proximité plus intimes. Alis, comme certaines d'entre elles, n'a pas d'orientation définie, entre garçons et filles. Évoquant au fond un réel désir de liberté, qui vient fort justement clore le métrage, elles donnent au fond au projet artistique que constitue ce documentaire, un élan positif malgré leurs passés douloureux.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur