ADIEU PARIS
Sers-moi un autre, Edouard !
Aujourd’hui, huit vieux amis, tous de grandes figures du microcosme artistique de Paris, reproduisent leur rituel de chaque année : un déjeuner dans le même bistrot de la capitale, histoire de faire le point et d’évoquer le bon vieux temps. Mais comme l’un d’eux a convié un « intrus » pour ce déjeuner, les choses ne vont pas se passer comme prévu…
A-t-on vraiment envie de passer un peu moins de deux heures avec huit croûtons parisiens, sans doute trop enchaînés à leur cocon intello-bourgeois pour oser s’aventurer au-delà du périphérique, qui se lâchent dans l’hypocrisie et le sarcasme à répétition à l’occasion d’un déjeuner au bistrot ? Si vous répondez non, sachez juste que c’est Edouard Baer qui a cuisiné le ragoût. Il y a des lardons dedans, mais ils sont tendres. Il y a aussi des olives, mais elles sont dénoyautées. Il y a des épices qui piquent juste ce qu’il faut pour laisser un bon goût en bouche. Et si le repas a lieu dans un espace clos, la table n’est pas disposée de façon trop théâtrale. En gros, on est au cinéma, bien dans nos pantoufles, dans un terrain déjà maintes fois labouré par Danièle Thompson et le tandem Bacri-Jaoui. Et surtout, l’ami Baer a sorti de son chapeau ce joker qui est le sien : une hilarité verbale et situationnelle qui démarre fort pour ne jamais freiner, avec une pointe de tendresse pour les marionnettes de son petit théâtre.
Confronter un Benoît Poelvoorde bien entamé aux « vieux de la vieille » de tout ce que Paris compte d’écrivains, de polémistes, de théâtreux et de plasticiens, c’est déjà la promesse d’un déjeuner bien nerveux. Sauf que le premier est d’emblée mis à l’écart après une entrée complètement ratée, que le huitième convive ne vient finalement pas (notre Gégé national qui préfère rester chez lui), et que les autres – en particulier un Pierre Arditi à plein régime dans le mépris déplacé et le survoltage réac – ont du mal à laisser les non-dits et les aigreurs sous le paillasson de la connivence affichée. Si l’on sent bien la limite d’un exercice aussi vieillot que les pièces de Feydeau (combien de fois va-t-on encore devoir se farcir ces histoires de bourgeois parigots qui s’emmerdent dans leur petit confort ?), "Adieu Paris" déballe une maîtrise du dialogue-mitraillette et un goût de l’ironie situationnelle qui permet de tenir sans problème jusqu’au dessert. Le genre de générosité rigolarde qui ne cale jamais, cuisinée aux petits oignons et servie par une troupe de sommeliers en état de grâce, visiblement fous de joie à l’idée d’embrasser des costumes aussi bien taillés pour eux. Ça ne révolutionne rien, mais ça mérite bien ses trois étoiles au guide Lumière. L’addition, svp.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur