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ADIEU AU LANGAGE

Un film de Jean-Luc Godard

Noyade rapide et goût de la provoc

De jeunes gens feuillettent des romans de la littérature russe dans une brocante. Ils cherchent le nom de certains auteurs sur leurs smartphones, qui font apparaître un portrait. Une voix-off nous parle de l'influence d'Hitler...

En récompensant par un double Prix du jury (consacré aux films les plus originaux ou innovants), le jury de Jane Campion a fait preuve d'un geste intelligent, reliant le plus jeune de la Compétition, Xavier Dolan, à peine 24 ans (dont beaucoup voyaient le "Mommy" beaucoup plus haut dans le palmarès) et le plus expérimenté, Jean Luc Godard, 83 ans. Absent de Cannes, laissant en pâture aux journalistes, aux professionnels, mais aussi aux spectateurs lambda, sa dernière œuvre, tournée avec sa technique de 3D à lui, le maître aura comme on s'y attendait, autant dérouté que séduit. Et ce n'est pas avec "Adieu au langage" qu'il mettra d'accord ses aficionados et ses détracteurs, preuve en est le « Godard for ever » lancé en début de séance lorsque le noir se fit, et les hordes de huées qui masquaient presque les applaudissements à la fin du film.

Revenant à Cannes en compétition presque tous les dix ans depuis 1994 ("Nouvelle vague" en 94, puis "Éloge de l'amour" en 2001), l'auteur suisse nous livre un OFNI initialement chapitré en deux parties (1 - la nature ; 2 - la métaphore), pour mieux en exploser le dispositif, en revenant au bout de 30 minutes sur le premier volet, et en jouant plus sur la puissance et le foisonnement de l'image que sur la multitude des discours et théories sous-jacents. Ainsi, à un discours de départ sur la disparition de la pensée au profit de la non-pensée, sur la domination de l'image sur l'écriture, il superpose des pensées sur Hitler et la longue tradition d'états de crise, sur l’hypocrisie de la relation des Français à l'État providence...

Mais Godard semble avant tout s'amuser, à provoquer, à surprendre, à éblouir par cette image qu'il juge pourtant sévèrement. Car « l'image devient le meurtre du présent », elle empêche de vivre pleinement l'instant. À l'image de ces dispositifs qu'il utilise pour composer son film-tableau, des téléphones portables, des caméras Go-Pro, des appareils photos), s'imbriquant en un montage brillant aux allures chaotiques, où se mêlent mots en surimpression (« Ah Dieux » !, « Oh Langage »!), couleurs saturées, chien aimant et observant des humains qui ont bien du mal à communiquer, malgré leur utilisation des mots.

Jouant à la fois de jeux de mots faciles (le petit « poussait ») et jouant la provoc à fond (lors par exemple des hallucinantes scènes sur l'égalité homme-femme, la femme lâchant des pets à table, et l'homme discutant avec elle depuis les toilettes, la porte ouverte, histoire qu'on entende clairement le « plouf » de chaque étron...), Godard semble s'amuser, pour ce qui pourrait bien être une œuvre testament. Preuve en est, la présence d'un récurrent « Point final » qui apparaît dans de nombreux plans.

Si sur le fond, il perd la plupart des spectateurs au bout d'une demi-heure, il faut cependant avouer que Godard étonne encore, utilisant la 3D de manière ingénieuse, comme dans ce plan marquant où chaque œil voit un personnage différent du couple, les deux se rejoignant à la fin dans un unique plan. Un film incontestablement moderne, qui laisse autant perplexe qu'il amène à réfléchir, et semble inciter à participer activement à ce qu'on appelle la vie, plutôt que la vivre en images.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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