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À SON IMAGE

Un film de Thierry de Peretti

Oukilé le bouton pour la voix off ?

Des années 1980 jusqu’à l’aube du XXIème siècle, Antonia, jeune photographe de Corse-Matin à Ajaccio, ne cesse de voir son quotidien et son entourage mêlés aux grands événements de l’histoire politique de l’Île de Beauté…

Au vu de l’aura prestigieuse qui continue d’entourer "Une vie violente" et "Enquête sur un scandale d’État", les promesses étaient là concernant "A son image", et c’est peu dire qu’elles étaient belles. Pour un brillant cinéaste ayant fait du décorticage de la situation politique de la Corse un grand sujet de cinéma, on considérera qu’il y avait cette fois-ci non pas un sujet mais un filtre magnifique permettant de transcender ce même sujet. Soit l’angle du journaliste-photographe qui tenterait, par le biais de son travail et d’un trajet de vie étalé sur plusieurs années, d’enregistrer et de témoigner des mille paradoxes d’un militantisme à visage multiple. C’est ainsi que sur un peu moins de deux heures défilent autant les années sombres de l’Histoire politique de l’Île de Beauté que des combats lointains ou voisins qui seraient censés constituer un écho ou un contraste – on relève ici une excursion conséquente de l’héroïne en plein conflit serbo-bosniaque. Thierry de Peretti va même jusqu’à cristalliser cette question symbolique de l’image dès la première demi-heure, via des effets de montage qui consistent tantôt à figer le mouvement d’une scène dans une perspective précise qui isolerait quelque chose de fort (et c’est plutôt bien vu) tantôt à traiter son découpage selon une enfilade de plans fixes à la manière d’un sous-Chris Marker (c’est déjà un peu moins subtil). Et si sa science du plan-séquence répond une fois de plus à l’appel, usant aussi bien de l’apparente fixité du cadre que de la virtuosité de légers panoramiques, on reste en droit de s’interroger sur la pertinence du propos et sur les choix narratifs qui la conditionneraient.

C’est qu’une fois encore, comme cela peut se produire au cours d’une filmo lancée sur de très bons rails, la sensation de voir un cinéaste surdoué qui lâcherait sa croyance en la puissance évocatrice de son art, et ce au profit d’un discours où régneraient la paraphrase et la péroraison, prend le dessus sur le reste. Et c’est encore une fois à l’angle kamikaze de la voix off que l’on doit ce blocage fatal. Parce que celle-ci parle à la place de l’image tout en se contentant de servir de simple interstice entre des scènes temporellement déliées (ce qui casse ainsi toute ambiguïté vis-à-vis du hors-champ), mais aussi parce qu’elle est celle d’un protagoniste lambda – qui s’identifiera d’ailleurs de lui-même à mi-chemin – dont l’incidence sur le récit est plus que discutable. On est ainsi loin de cette ambivalence ludique et imparable qui habitait chaque scène d’"Enquête sur un scandale d’État", voilant la plupart de ses vertiges narratifs sous une tension au cordeau. "A son image" fait hélas l’inverse en se contentant d’un profil de pensum illustratif, voire pédagogique lorsqu’il tend à imposer le texte et son explication, à l’image du couperet réflexif qui traverse cette scène tardive de discussion entre un professeur et ses élèves sur la question du militantisme. Que le parcours de sa jeune héroïne soit en plus épicé d’enjeux franchement éculés (le vieux schéma « mes amis, mes amours, mes emmerdes ») échoue même à lui donner le relief d’une saga générationnelle. Ce film avait sans doute été conçu par son auteur comme un aboutissement, voire comme une synthèse. Il est triste de n’y voir finalement qu’une parenthèse.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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