A REAL PAIN
Deux caractères opposés
Benji et David sont deux cousins d’une famille juive américaine. Suite à la mort de leur grand mère, ils débarquent ensemble en Pologne pour effectuer un voyage de la mémoire, prévoyant cependant de quitter le groupe l’avant-dernier jour, afin de se rendre à la maison d’enfance de leur grand mère. Mais la cohabitation entre eux, aux caractères très différents, va faire ressortir certains reproches…
"A Real Pain" commence par un plan séquence dans une salle d’attente d’aéroport, où au milieu de la foule, la caméra finit par s’arrêter sur un trentenaire, regardant tranquillement autour de lui. S’affiche alors le titre du film, à la gauche du visage du jeune homme, et dont on commence déjà a comprendre le double sens. Car sous cette « vraie douleur » (« a real pain ») de la perte d’une grand mère survivante des camps de concentration, il y a aussi un personnage de cousin dont l’attitude pourrait faire dire de lui qu’il est « une vraie plaie » (« a real pain… in the ass »). On ne sait pas pour autant à ce moment là duquel des deux cousins il s’agira en fait, même si cette image finale suggère qu’il s’agit de Benjamin. Car intelligemment, Jesse Eisenberg enchaîne avec David, partant de chez lui et arrivant par étapes lui aussi à l’aéroport, en laissant à chaque fois un nouveau message inquiet à son cousin. Rapidement, avant même leurs retrouvailles, le spectateur s’interroge donc : et si c’était finalement David, le cousin le plus embarrassant ?
Composant un jeune père de famille, Jesse Eisenberg incarne avec ce qu’il faut de fébrilité, l’inquiétude permanente, la peur de gêner, l’effacement, la distance respectueuse, jusqu’à en devenir par moments assez pathétiquement drôle. Face à lui, Kieran Culkin (le troisième frère comédien, après Macaulay et Rory) donne corps à un mélange d’aisance, d’ouverture, d’égocentrisme, de clownerie et de principes arrêtés, qui détone. L’insertion des deux personnages dans un groupe composé d’un guide patient (James), d’un couple de retraités (Diane et Mark), d’une bourgeoise divorcée (Maria), et d’un rescapé rwandais (Eloge), permet de faire tourner les décalages et la gêne, dans un trip où Benji passe son temps à accaparer l’attention. Réservant quelques scènes très émouvantes, tel un très beau monologue de David à table, "A Real Pain" parvient à traiter plusieurs sujets difficiles avec un recul impressionnant et un humour de fond culotté. Prenant le contre-pied du mélodramatique, larmoyant et appuyé "Treasure" (rebaptisé "Voyage avec mon père"), qui prend aussi la forme d’un voyage de la mémoire associant un père flegmatique et sa fille névrosée, le long métrage s’inscrit ainsi dans une démarche réparatrice des plus sincères, les petites doses d’humour permettant de rendre ses personnages encore plus humains.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur