5ÈME SET
Une dramaturgie de haute volée !
Thomas Edison est un ancien espoir du tennis français, qui ne s’est jamais remis d’une défaite en demi-finale de Roland-Garros à ses débuts. À désormais 37 ans, il est dans les profondeurs du classement, son corps le lâche, sa conjointe le pousse à arrêter, mais il est persuadé qu’il a encore sa place sur le circuit. Roland-Garros approche et c’est peut-être l’occasion de revenir dans la lumière…
Sans s’affranchir d’une recherche de style, "5ème Set" tire sa force d’un réalisme prenant, qui nous embarque dans le quotidien des joueurs professionnels de seconde zone – comprenez ceux qui gagnent très difficilement leur vie sur le circuit, en n’atteignant jamais ou trop rarement les sommets, se contentant de miettes dérisoires, de tournois marginaux, de système D… Pour atteindre un tel réalisme, Quentin Reynaud (qui connaît manifestement très bien son sujet car les amateurs de ce sport ne repéreront guère de fausse note), ne lésine pas sur les moyens, grâce un partenariat explicite avec la Fédération française de tennis et avec Roland-Garros, quitte à multiplier les placements de produits (les sponsors officiels du tournoi, les marques de raquette…) – pour une fois, on se dit que c’est pour la bonne cause et pas seulement pour des questions budgétaires !
Reynaud s’amuse à construire une sorte d’uchronie tennistique cohérente en intégrant de vrais noms et faits à sa fiction. Ainsi, si bon nombre de joueurs évoqués sont inventés, les dialogues évoquent aussi Djokovic, Tsitsipas, Connors et autres El Aynaoui… Quant au héros, Thomas Edison, il est manifestement inspiré par plusieurs cas réels : il est supposé avoir atteint les demi-finales à Roland-Garros en 2001 contre Alex Corretja (or Sébastien Grosjean a effectivement perdu contre l’Espagnol dans le dernier carré cette année-là), avoir fait la couverture de "Tennis Magazine" avant l’âge de 10 ans (l’image rappelle celle dont avait bénéficié Richard Gasquet à 9 ans) ou encore avoir été traumatisé par une défaite en cinq sets dans un match important après avoir eu des balles de matchs (ce qui rappelle Paul-Henri Mathieu, qui fait un caméo dans le film et qui s’était difficilement relevé d’une défaite dans le match décisif de la finale de Coupe Davis en 2002 où il était passé à deux points de la victoire).
Ne croyez toutefois pas qu’il soit nécessaire d’avoir une certaine expertise pour apprécier ce film pourtant pointilleux sur la reconstitution de l’univers tennistique. Si l’on peut passer à côté de clins d’œil ou de certaines subtilités (comme les quelques éléments de jargons tennistiques qui peuvent dérouter quand on n’y connaît rien : wild cards, tournoi Futures, classement négatif…), "Cinquième Set" est pleinement compréhensible pour les non-initiés et exploite des thématiques universelles qui parleront à tout le monde, se servant avec bonheur de la dramaturgie que permet ce sport un peu fou où l’on peut perdre après avoir eu des balles de match (et vice-versa).
Alex Lutz est une nouvelle fois transcendé par un personnage vieillissant sur le retour (on pense évidemment à "Guy" qu’il a réalisé et qui lui a valu un César mérité pour sa prestation à l’écran), incarnant à la perfection ce Thomas Edison dont les cicatrices et blessures physiques entrent en écho avec les traumatismes mentaux et affectifs. Se rêvant phœnix, ce joueur de tennis fictif bénéficie d’un gros travail d’écriture le rendant à la fois crédible et attachant. On se surprend alors à vouloir l’encourager comme s’il s’agissait d’un vrai sportif et de véritables enjeux, à la limite de bondir de son siège après un point gagné. Cela ne nous empêche toutefois pas de se sentir parfois du côté des personnages qui tentent de lui faire entendre raison, notamment sa compagne, une ancienne joueuse fatiguée par les sacrifices, impeccablement interprétée par Ana Girardot.
Pour accentuer l'identification, la réalisation accomplit des prouesses pour les séquences de compétition, faisant appel à de vrais joueurs de haut niveau pour interpréter les adversaires d’Edison ou la doublure d’Alex Lutz – notamment le jeune Jürgen Briand, actuel 732e mondial, qui se débrouille plutôt bien aussi comme acteur dans le rôle de Damien Thosso, le nouvel espoir du tennis français. Alors que les scènes purement sportives sont (ironiquement) le talon d’Achille de nombreux longs métrages centrés sur le sport, "5ème Set" filme avec brio des coups et des échanges vraisemblables (à quelques détails près) et multiplie les points de vue pour nous faire ressentir tour à tour l’intensité de l’action ou le mélange de stress et d’excitation que vit le public (dans le stade mais aussi devant la télé ou la radio), sans oublier les nécessaires coulisses (vestiaires, entraînements…).
Apogée de cette logique d’immersion réaliste, la conclusion opte pour un mimétisme télévisuel impressionnant (y compris en faisant appel à Lionel Chamoulaud et Arnaud Boetsch pour les commentaires fictifs), nous donnant l’impression de regarder le tournoi en direct avec tout le suspense que cela suppose. Il y a alors de quoi admirer la chorégraphie sportive que nous procurent ces échanges en temps réel, d’une qualité à couper le souffle.
Sans la dévoiler, la fin peut apparaître comme étant le point faible du métrage. Mais a posteriori, on peut également se dire que Quentin Reynaud évite ainsi tous les pièges dans lesquels tombent la majorité des films sur le sport et que cet épilogue permet finalement de faire perdurer la force émotionnelle de son histoire, un peu comme lorsque nos cerveaux se revisualisent en boucle ces moments cultes qui font basculer les grandes rencontres.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteurSe focalisant sur les souffrances, physiques comme psychologiques, d’un tennisman, potentiel champion en lequel plus grand monde semble croire, "5ème Set" apparaît vite comme un film clinique, animé par des matchs éliminatoires successifs censés amener rythme et tension, sans grand succès. Tourné pour partie à Roland-Garros, ce second long métrage de Quentin Reynaud tente d’immerger le spectateur dans le mental d’un joueur dont l’enjeu principal est ici de montrer au monde, à la profession et à son entourage, qu’il n’est pas fini. L’âpreté est donc au programme, jusque dans les déclaration de la mère de ce joueur de 37 ans, qu’elle considère comme n’ayant « pas le mental d’un champion ».
Arrivant après "Battle of the Sexes" (2017) et "Borg / McEnroe" (2017 également), qui mêlaient habilement enjeux intimes, étude fine de caractères et tension du jeu, "5ème Set" prend trop le penchant de la dichotomie et de l’intériorisation pour passionner. Et les vingt-cinq minutes de match qui viennent clore le métrage, consécration d’un premier tour à l’issue incertaine, relèvent de la lente agonie pour qui ne s’intéresse que peu à ce sport (une scène nous imposant de plus les insupportables, et ici particulièrement inutiles, commentaires sportifs).
Reste cependant une approche sans concession du déclassement impitoyable lié à l’âge, l’usure physique, et l’arrivée de nouveaux espoirs, un regard sur le rôle ambigu des médias, moins soutiens qu’à la recherche de sensationnel (dans les relations tendues ici avec sa mère notamment), ou des rapports aux sponsors (objets d’une scène particulièrement cynique lorsque ces derniers demandent des « faveurs »). Enfin, alors qu’Alex Lutz finit par agacer, en permanence figé dans le chemin de croix d’un personnage incapable d’évoluer, Kristin Scott Thomas impressionne encore une fois dans le rôle d’une mère implacable.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur