200 MÈTRES
Une comédie noire sur les contraintes imposées aux Palestiniens
Mustafa vit dans la maison de sa mère d’un côté du Mur israélien. Salwa vit de l’autre, dans une autre maison, avec les enfants, deux filles et un adolescent, adepte du football. Le soir, ils peuvent même se faire signe par lumières interposées. Mais lorsque son fils se retrouve à l’hôpital, Mustafa va tout tenter pour rejoindre sa famille de l’autre côté du mur, quitte à parcourir des dizaines de kilomètres illégalement…
"200 mètres" est la distance qui sépare les deux maisons de la famille de Mustafa et Salwa, situées chacune d’un côté différent du Mur israélien, et d’où chaque soir, ils peuvent communiquer par des jeux de lumières. En effet, n’ayant de permis de travail que de manière ponctuelle pour se rendre sur des chantiers, Mustafa reste souvent côté palestinien et fait signe le soir à ses enfants, par l’intermédiaire d’une lampe de poche. S’il voudrait que son fils soit avec lui, celui-ci préfère s’entraîner au foot de l’autre côté de cette barrière. A partir d’une carte d’identité périmée empêchant le renouvellement du permis de travail, rendant ainsi la frontière imperméable pour lui, les ennuis vont pouvoir s’accumuler, constituant l’essentiel d’un scénario malin voué à nous immerger dans le quotidien ubuesque de certains Palestiniens.
Apprenant que son fils a eu un accident, Mustafa décide en effet de faire appel à des passeurs, ignorant que le voyage qu’il entame sera bien plus périlleux et long que prévu. Hors l’accumulation des obstacles (attente des autres passagers, changement de voiture, check points mouvants, rivalités entre passeurs...), l’intelligence du scénario passe également par l’introduction, au milieu des passagers, d’une jeune femme Allemande prétendant avoir des ancêtres palestiniens. L’alternance de méfiance et de curiosité que son personnage engendre, ainsi que ses échanges avec les autres passagers, sont des artifices d’écriture assumé par l’auteur lui-même, qui permettent de mettre en évidence les craintes profondes des Palestiniens.
Au travers du portrait de ce père pressé d’effectuer le voyage, ce sont non seulement les lourdeurs administratives, la peur du Mossad, la méfiance envers les autres, et surtout le poids des attentes répétées, qui se révèlent. Au fil des montées et descentes de voyageurs, comme des étapes d’un parcours où les tensions sont multiples, le danger semble permanent. Par moment proche du documentaire, "200 mètres", récompensé par le Prix du public aux Venice Days 2020 en septembre dernier, est film multilingue intelligent, tendu et drôle, qui donne corps à des personnages dans la nécessité, tout en fustigeant un système où la suspicion semble la seule règle. Révélant au passage une façon de penser binaire, résumée en un seul échange (« Tu aimes les Palestiniens ? » « Tu aimes la violence »), ce très beau film sur l'absence de liberté, affirme la solidité des liens familiaux face à un système où le temps est devenu un luxe.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur