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1917

Un film de Sam Mendes

De la poudre aux yeux

En pleine Première Guerre mondiale, les caporaux britanniques Schofield et Blake sont chargés d’une mission quasi impossible : traverser les lignes ennemies afin de porter un message visant à empêcher une attaque suicide risquant de causer la mort de centaines de soldats – dont le frère de Blake. Une course contre la montre s’engage…

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Décidément, il faut croire qu’il suffit désormais d’une quelconque performance technique – déjà osée auparavant ou pas – pour qu’en ces temps de disette créative sur grand écran, le moindre effet de style en fasse hurler certains au jamais-vu, à une révolution en marche sur la question même du découpage, voire carrément au film de la décennie (celle qui vient à peine de commencer, on précise). De notre côté, on se méfiait déjà à l’avance de ce parti pris du « film plan-séquence », devenu au fil du temps un gimmick facile pour tout cinéaste désireux de toucher du doigt une forme de « vérité » dans le but absurde de se coller au plus près des diktats du réel et de réfuter cette lecture du cinéma en tant qu’art du mensonge (alors que tout réside dans le fait d’assumer cette dernière et de la maîtriser avec soin). En outre, de là à y voir un lien direct et supplémentaire avec cette façon qu’ont les multiplexes de multiplier les formatages de salles à la manière d’une attraction Disneyland, il n’y a qu’un pas que l’on a désormais de plus en plus de mal à se retenir de franchir – peut-être à tort, qui sait… En attendant, l’expérience proposée par "1917" – soit une sensation de plan-séquence unique sur deux heures en pleine guerre de 14-18 – ne pouvait convaincre qu’à la condition sine qua non d’un dispositif justifié par les enjeux du récit et la scénographie envisagée. Hélas, c’est l’exact inverse : le dispositif est ici le général qui tend trop souvent à envoyer les enjeux et la scénographie au casse-pipe.

Au-delà des ficelles redoutées qui répondent toutes à l’appel (fluidité totale qui laisse parfois filtrer l’ennui, coupes visibles à chaque effet d’amorce, gestion inégale de l’alternance lumière/ténèbres…), le problème tient dans un principe de mise en scène trop mécanique, incapable de respirer, et ainsi de faire transparaître le stress, la trouille et le chaos qu’une telle situation guerrière laissait transparaître –seul le sound design bluffant s’en sort ici sans blessure. On repère bien ce qui cloche lorsque la situation quitte le calme de l’errance sous tension pour laisser le chaos s’inviter à la fête : la brutalité semble trop timorée, l’enjeu central de la mission s’éparpille vite en plusieurs clichés du genre (réussir une mission, sauver son prochain, retrouver la famille d’un ami mort au combat, etc…), et, plus embêtant encore, les personnages ne laissent transparaître aucun gramme de panique lorsqu’ils se mettent à courir. En effet, au lieu de laisser la caméra se caler sur le rythme de leur course effrénée, on a plutôt l’impression que leurs déplacements sont guidés en fonction de l’emplacement de la caméra. Preuve évidente d’un film subordonné à son propre dispositif, trop réfléchi en amont pour que l’on se sente impliqué dans cette périlleuse ballade au cœur des lignes ennemies. A titre de comparatif, il suffit de se souvenir des quelques plans-séquences insensés des "Fils de l’Homme" : aussi travaillés soient-ils, le génie d’Alfonso Cuaron tenait dans la recherche d’une topographie absolue du chaos, constante et imprévisible, avec des coupes placées à des endroits stratégiques du montage.

A force de viser la performance technique sans affect (qui plus est jamais assumée jusqu’au bout à la manière de "L’Arche russe" d’Alexander Sokourov), Sam Mendes n’a abouti qu’à un film scolaire qui se regarde avec les mains dans les poches et le pouls en vitesse de croisière. Quand bien même son intention de départ était la plus honorable qui soit (il s’agit ici pour lui de rendre hommage à son grand-père soldat), quand bien même sa maîtrise du cadre et de la caméra demeure incontestable, quand bien même les travaux du compositeur Thomas Newman et du chef opérateur Roger Deakins valent à eux seuls le détour, le résultat laisse froid. On se convaincra surtout du fait que la première heure du "Soldat Ryan" de Steven Spielberg paraîtra toujours plus intense et inventive que ces deux heures faussement viscérales. Sans doute parce que, chez Spielberg, le travail sur le découpage et la durée d’un plan monté se fait en fonction des enjeux structurels et narratifs du film en question, et non pas au travers d’un parti pris de continuité absolue qui ne s’assume jamais comme tel.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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