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Clermont-Ferrand 2024
Festival de Clermont-Ferrand 2024 - retour sur le Programme F7
PETIT SPARTACUS de Sara Ganem
4 étoiles
Une femme part en voyage accompagnée d’un vélo parlant le grec. Elle a pour destination la Grèce et pourra compter sur des rencontres humaines pour arriver à bon port.
Ce film a beaucoup d’éléments pour se mettre à dos une partie du public, comme sa prise de vue presque amateur dans un style vlog de fiction-documentaire peut-être réalisé avec un caméscope d’anniversaire, ou bien ses jeux de mots douteux, mais qui réussissent quand même parfois à vous arracher des rires. Pourtant, malgré ces éléments qui peuvent en refroidir certains, ce film parvient à convaincre. Il y a une telle ferveur dans sa création, une telle profondeur et un si grand besoin d’expression que la magie du cinéma opère et qu’il parvient à nous séduire. La profusion des images tournées dans ce road trip solitaire permet de proposer un montage dont les forces compensent largement le côté amateur des images. C’est aussi une manière détournée de concentrer notre attention sur la puissance de cette histoire, ce périple sans réel objectif, hormis cette Grèce fantasmée, semblable au voyage d’Ulysse qui subit mille détours, perdra notre personnage dans les recoins de son âme.
Reprenons : c’est le voyage d’une femme à vélo qui traverse seule l’Europe. Il est un peu triste de trouver cela d’autant plus impressionnant que ce voyage dangereux est réalisé par une femme. Car forcément on s’en fait un peu plus pour sa sécurité. Mais en fait, c’est de cela dont parle cette histoire : cette femme errante fuit un traumatisme [ATTENTION Spoiler] : elle s’est faite droguée lors d’une soirée et on a abusé d’elle. À travers cette quête de rédemption, les dieux de l’Olympe lui accorderont enfin une grâce qui pourra nous paraître illusoire. Elle avait besoin de cette absolution des dieux alors qu’à nos yeux elle était déjà guérie : elle traverse un continent entier, rencontrant des inconnus, des hommes, à qui elle réussit à faire confiance. C’est une femme, un personnage, une autrice admirable.
NOTHING SPECIAL de Efrat Berger
5 étoiles
Deux femmes, une aide-soignante et une vieille dame, attendent dans une salle. L’une des femmes commence à s’imaginer une autre vie.
C’est une histoire toute simple qui parle de choses élémentaires comme les regrets. Les regrets d’une vie déjà bien avancée, comme pour cette vieille femme qui attend la mort, ou les regrets que finira par avoir l’aide-soignante qui attend que sa vie commence. Un jeu entre la prise de vue réelle et les animations incrustées dans l’image, où les maquettes miniatures viendront brouiller la frontière entre réalité et imaginaire, un peu comme si nos rêves et espérances arrivaient enfin à prendre place dans notre réalité. Cette volonté de reprendre sa vie en main, de se reconstruire une existence, peut trouver un écho dans ces décors qui se déconstruisent et se reconstruisent perpétuellement, comme on pourrait en espérer de même avec la vie.
L’INVULNÉRABLE de Lucas Bacle
4 étoiles
Alors qu’il s’occupe de son père malade, Marcus, 17 ans, n’a plus que quelques jours pour rendre la vidéo du concours d’entrée de l’école de cinéma de ses rêves. Marcus se lance dans le tournage sans avoir eu l’autorisation de son père, dont la maladie viendra perturber la production du film. Marcus souhaite tourner un film de super-héros. Un court de super-héros un peu comique avec des effets spéciaux à la limite du réalisme mais qui réussit quand même à avoir un peu de gueule. À travers le genre super héroïque, on aborde des thèmes comme celui de la responsabilité, exactement comme ici avec cet enfant qui prend soin de son père malade.
Généralement, pour un auteur, un film lui permet d’exprimer des choses qu’il ne serait pas capable d’exprimer autrement, et qu’il a besoin d’exprimer. Marcus, à travers son film de super-héros, exprime son incapacité à communiquer avec son père. Il transforme son père malade en super-héros qui a du mal à utiliser ses pouvoirs. Malheureusement, son père refuse de jouer dans le film, car il trouve cela ridicule. Il lui faudra attendre de traverser des épreuves pour enfin sacrifier son amour-propre et faire ce qui est juste (un vrai comportement de super-héros). [ATTENTION Spoiler] C’est en tombant par hasard sur des extraits du film et en entendant son fils Marcus diriger un piètre acteur pour le remplacer qu’il comprend la profondeur du film de Marcus, qu’il comprend que ce film est une manière de les rapprocher. Le film de Marcus a réussi à délivrer son message auprès de son père.
LE CHANT DES BÊTES de Titouan Ropert
4 étoiles
Un journaliste sportif reçoit une clé USB contenant des dizaines d’images de maltraitance animale en abattoir. Ce journaliste s’embarque progressivement pour défendre la cause animale.
Le style réaliste, quasi documentaire voire vidéo de surveillance, plonge le public dans la réalité de l’abattage animal dénoncé par ce film. C’est un film engagé qui essaie d’éveiller les consciences, qui dénonce aussi une forme de virilité malveillante, à l’image de ces abattoirs où un excès de sensibilité d’un ouvrier qui égorge des animaux toute la journée est méprisé.
Ce film possède une certaine intelligence en plaçant ses révélations dans un contexte de Coupe du Monde de football, où finalement, les gens n’en ont rein à « foot » du sort des animaux.
Cependant, lorsque l’auteur insère de véritables scènes d’abattage dans son film, il devrait prendre en compte sa responsabilité envers le public. Ne serait-ce qu’avec un message au début du film pour prévenir du caractère violent des images. Surtout en présence de jeunes enfants dans les salles de cinéma, surtout lorsque le montage, aussi virtuose soit-il, montre des images de dégorgement de manière furtive, prenant les spectateurs par surprise et ne leur laissant pas l’opportunité de fermer les yeux lors de ces scènes spécifiques. Cela montre cependant peut-être la démarche du personnage qui s’infiltre illégalement dans une usine pour cacher des caméras, tout comme l’auteur nous montre de force ces horribles images. Est-ce là le paradoxe ? En voulant responsabiliser le public sur l’abattage des animaux, l’auteur risque de faire preuve d’irresponsabilité envers son public. C’est finalement l’éternelle question de la fin et des moyens.
Yvan Coudron Envoyer un message au rédacteur