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Cannes 2019

Cannes 2019 - Bilan Quinzaine des réalisateurs

Un point de vue décalé pour mieux observer

Après avoir joyeusement fêté ses 50 ans l’an dernier avec Édouard Waintrop, la Quinzaine amorce sa prochaine décennie avec un nouveau délégué général : Paolo Moretti, un cinéphile touche à tout qui, après avoir été directeur adjoint de la programmation Orizzonti de la Mostra, a travaillé au sein de nombreuses archives et cinémathèques européennes. Pour débuter son mandat, le programmateur italien a été des plus généreux en sélectionnant 25 films aussi hétéroclites que fascinants, car fidèle à l’âme de la Quinzaine, la 51e édition a su mixer les genres tout en gardant la ligne de conduite qui fait son charme, faire un léger pas de côté par rapport à la sélection officielle en révélant ou confirmant des cinéastes de tous les horizons. De son film d’ouverture (« Le daim« ) à son film de clôture (« Yves« ) le ton était donné, La Quinzaine joue en décalé que ce soit dans le ton ou dans la forme. La preuve par 3… films !

Le daim, le décalage par l’absurde

Cannes 2019 bilan Quinzaine des réalisateurs Le daim

Cannes 2019 bilan Quinzaine des réalisateurs Le daim (c) Atelier de production

Maître incontesté de l’absurde au sens premier du terme, Quentin Dupieux a ce style indéfinissable qui oscille entre loufoque et cynisme. Chacun de ses films dispose d’un postulat qui défie les lois de la logique avec un scénario, lui totalement cohérent. Jusqu’ici ses longs métrages avaient du mal à tenir la longueur et semblait être des courts-métrages extrapolés. Or avec "Le Daim", Quentin Dupieux réussit à développer son sujet autour d’une véritable intrigue qui évolue tout en finesse vers un final aussi inattendu qu’évident. Une vraie réussite qui verra Jean Dujardin, obsessionnel d’une veste en daim, qui embarque dans sa folie maroquinière, une Adèle Haenel en manque cruel de distraction.

Yves, le décalage par anticipation

Cannes 2019 bilan Quinzaine des réalisateurs Yves

Cannes 2019 bilan Quinzaine des réalisateurs Yves (c) Ecce Films

Un frigo qui parle, c’est déjà peu fréquent, mais un frigo qui gagne l’Eurovision, là c’est totalement inédit !… et si cette prouesse absurde était possible, après tout, qui aurait dit il y a tout juste 15 ans que nous parlerions avec notre téléphone ? Pire que nous lui aurions donné un nom ? Siri sonne peut-être plus sexy que Yves mais au final il s’agit bien de la même chose. Plus léger et plus loufoque que son référent britannique "Black Mirror", "Yves" au travers de l’écran noir de son héros guide la vie de Jérem grâce à son intelligence artificielle. Mais rassurez-vous Yves a bon fond et derrière son endoctrinement par la société de consommation il sait rester un bon copain, voire un bon amant !

Zombi Child, le décalage par anthropologie

Cannes 2019 bilan Quinzaine des réalisateurs Zombi Child

Cannes 2019 bilan Quinzaine des réalisateurs Zombi Child (c) Playtime

À l’annonce de la programmation de la Quinzaine, un film suscitait la curiosité : le film de zombies de Bonello. Comment ce réalisateur à la patte si intimiste allait-il s’accaparer les codes de ce genre si déshumanisé ? Et bien avec succès… mais pas comme on l’imaginait ! Véritable ovni de la sélection, "Zombi child" sème le trouble dès les premières minutes en mettant en parallèle deux histoires totalement différentes. À Haïti, dans les années 60, un homme est victime d’un sort vaudou et devient un zombie esclave. Puis très vite le film change d’époque et de lieu pour nous transporter en 2019 à Saint-Denis, dans la très prestigieuse « Maison d'éducation de la Légion d'honneur », une institution publique et laïque pour jeunes filles créée sous Napoléon. Élèves de terminale, trois jeunes filles cherchent à créer une sororité (équivalent féminin d’une confrérie). Elles proposent alors un défi à Melissa (une jeune haïtienne) pour intégrer leur clan… Avec comme seul dénominateur commun, ce petit pays des Caraïbes, les deux histoires vont alors se répondre l’une à l’autre jusqu’à l’épilogue. Ainsi, Bonello joue des codes pour une nouvelle fois analyser la conscience humaine face aux désirs amoureux ou vénal, et cela aux travers des rites qu’ils soient ancrés dans l’âme d’une civilisation ou simple rituel d’émancipation.

Gaëlle Bouché Envoyer un message au rédacteur