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Cannes 2018
cannes 2018 - Bilan Quinzaine : Fête de familles pour les 50 ans
Auréolé d’une Palme d’or amplement mérité, Hirokazu Kore-eda avait donné le ton. Cette année, le Festival de Cannes était une affaire de famille. La Quinzaine, toujours à l’avant-garde, n’a pas été en reste et c’est avec une programmation toute en filiation que la prestigieuse sélection a soufflé ses 50 bougies. Une célébration marquée par le départ d’un de ses pères, Édouard Waintrop, directeur général insatiable et curieux qui révéla bien des talents lors de ses 7 années passées au théâtre Croisette.
Comme l’a démontré le réalisateur japonais, être une famille n’est pas qu’une question de génétique. C’est avant tout une osmose viscérale qui peut apporter le plus précieux des réconforts autant que les pires souffrances. Un panel d’émotions à large spectre que la sélection 2018 a exploré de bout en bout, de la forêt amazonienne au Tonkin, de Yokohama à la bande de Gaza.
La famille, victime collatérale de la guerre
Les amours brisées, les amitiés sacrifiées ne sont rien à côté du manque abyssal que provoque la perte d’un parent proche. Un frère décapité "Aux confins du monde" aspire à la vengeance. Un fils disparu qui donne sa vie au Jihad, brise un père et une mère à tout jamais. Un mari et une fille réduis pour toujours aux silences, faute d’être du mauvais côté de la frontière, hante une mère et son fils. Ces séquelles indélébiles, ont aussi marqué dans la pierre autant que dans les chairs "Samouni road". Gravée en réserve blanche dans une carte encrée de noir, l’attaque des grands éléphants d’acier et des sombres corbeaux d’Israël a amputé en une journée une famille de la moitié de ses membres. Rescapés des décombres, le fils et son amoureuse ne veulent pas avoir d’enfant. Inutile que ceux-ci pleurent leur parent comme ils pleurent à présent les leurs. Mais 10 ans après, la caméra de Stefano Savona filme leur mariage avec comme seul décor des guirlandes de papiers roses et la bannière des martyres où le portrait de son père veille sur eux.
La famille, sacrifiée sur l’autel du profit
Vivre heureux auprès des siens est une variable bien fragile face aux besoins d’argent. "Amin" a quitté le Sénégal alors que sa cadette marchait à peine. Aujourd’hui ses enfants sont grands et ne rêvent que d’une chose : suivre leur père en France. Or ce pays fantasmé ne tient guère ses promesses. Si Amin fait venir sa famille avec lui, il ne pourra plus gagner assez d’argent pour son village. Ses maigres salaires ici n’alimenteront plus la maintenance de l’école là-bas, afin que plus tard les enfants ne soient plus obligés de s’exiler pour le bien de la communauté.
En 1968, de l’autre côté de l’Atlantique, quelques "Oiseaux de passage" sont venus porter la bonne parole capitaliste dans la tribu des Wayyu. Ces hippies aux dollars plein les poches, sont prêts à payer cher pour fumer la marijuana qui pousse sur les collines colombiennes. Une aubaine pour Rapayet qui, pour épouser la fille qu’il convoite, doit payer une dote que ne lui permet pas son petit commerce de café. Ses nouvelles affaires deviennent de plus en plus prospères et au gré des années, Rapayet remplace la petite case familiale par une maison d’architecte aux meubles massifs et pompeux. Les besoins se font plus grands et les jalousies prennent le dessus sur les traditions ancestrales de la tribu. La guerre est déclarée au sein de la famille et le destin du clan disparaitra dans les limbes du profit.
La famille et ses secrets
Qu’on soit fille de gitans ou fille de vétéran meurtri, une chose est établie : c’est papa qui décide ! Si Carmen aime Lola ou si Tom veut vivre ailleurs que dans les fougères, qu’elles se ravisent, les frustrations de leurs ainés vont les rattraper pour leur pourrir la vie au point de briser un lien familial pourtant solide. "Petra" quant à elle, est très proche de sa mère. Néanmoins, c’est dans une autre famille qu’elle va puiser son inspiration d’artiste. Lors d’un stage de peinture chez le grand peintre Jaume Navarro, elle va assister à la chronique d’un vaudeville annoncé où les non dits font office de liens familiaux. En découle, un troublant jeu de l’amour et du hasard mené par un patriarche odieux et manipulateur.
La famille et ses petits bonheurs
Cependant, au milieu de ces histoires sombres émerge une petite bulle de bonheur. À l’autre bout de monde, dans un petit quartier résidentiel de Yokohama, vit Kun. Du haut de ses 4 ans, il coule des jours heureux entre ses parents, son chien Kiko et ses petits trains. Or un jour sa mère disparaît pour revenir quelques jours plus tard avec sa petite sœur "Mirai" dans les bras. Pour le petit garçon, c’est un vrai bouleversement. Heureusement grâce à sa famille et à son imagination fertile, il va pas à pas accepter cette nouvelle situation.
Ce parcours initiatique, magnifiquement animé par le talent de Mamoru Hosoda vient ainsi clore cette liste non exhaustive des œuvres familiales présentées pour les 50 ans de la Quinzaine des réalisateurs. Une édition qui, comme les notes de la magnifique mélodie de Cyril Moisson vient apporter son lot d’émotion à une sélection qui, d’année en année comble nos petits cœurs de cinéphiles avec des œuvres dont on garde un souvenir ému. Les têtes changent mais notre attachement reste intacte pour les années et les décennies à venir. La Quinzaine a 50 ans, vive la Quinzaine !
Gaëlle Bouché Envoyer un message au rédacteur