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cannes 2012 - Une précarité grandissante
Constante évidente de cette sélection 2012, à l'image du monde qui nous entoure, la précarité s'est affirmée comme une toile de fond de nombreux films.
Dans « De rouille et d'os », Ali, sans argent, trouve refuge chez sa sœur à Antibes et vit de petits boulots, arrondissant ses fins de mois avec des combats « libres », permettant de canaliser sa frustration au travers d'une certaine bestialité. Jacques Audiard, s'il atténue la violence par des ralentis et une musique omniprésente, développe un récit faisant se rejoindre deux classes sociales, et ne cache rien du contexte de défiance entre employés et employeurs. Son héros, invincible dans son petit monde, jusqu'au jour où il y aura plus fort (ou plus jeune), accepte un emploi où il pose des caméras visant à surveiller des employés, ne pensant pas aux conséquences. Audiard interroge ainsi sur la nécessité de choisir son camp, et sur la responsabilité de chacun dans l'évolution d'un système qui méprise l'individu et particulièrement le travailleur.
« Les bêtes du sud sauvage » décrit aussi la bataille, quotidienne, d'un père et de sa fille, pour survivre dans un milieu hostile. Ils vivent tous deux dans une région isolée, au milieu des marais, loin du « monde sec » que l'on voudrait leur imposer, en les relocalisant de l'autre côté de la digue. Leurs cabanes sont faites de bric et de broc (tôle rouillée, vitres cassées, plaques de bois...), mais les gestes quotidiens rassurent, tels ce poulet entier que le père dépose sur le grill, et qu'ils dévorent à pleines dents. Benh Zeitlin joue de menaces météorologiques comme humaines (la tempête annoncée, les secours, ce monde extérieur synonyme d'hôpital...) et de quelques fulgurances festives, entre alcool à l'excès et feux d'artifices, pour dépeindre un monde enchanteur et sauvage, malgré la misère, qu'une rébellion face au symbole que constitue la digue, ne saurait pourtant sauver.
Dénonçant la paupérisation des classes les plus défavorisées, plusieurs films ont dépeint des situations d'entraide qui permettent parfois d'améliorer le quotidien. Ken Loach tout d'abord, avec « La part des anges », abordait une nouvelle fois la question d'une reconversion impossible pour des jeunes exclus du monde du travail. Condamné à des travaux d'intérêt général, son héros ne s'en sortira qu'en se lançant, avec une bande de potes, dans un trafic de whisky. Même s'il adopte le ton de la comédie, le réalisateur anglais souligne ici l'importance, pour les bonnes volontés, de bénéficier d'un environnement social de stable.
Pablo Trapero (« Carancho ») nous livre, lui, sa vision d'un bidonville de Buenos Aires. En accompagnant deux prêtres, il décrit dans « Elefante blanco », la spirale de doutes qui étreint les deux hommes, confrontés à une misère sociale de tous les instants, les habitants se retrouvant coincés entre des autorités souvent corrompues et des gangs implacables. Seule l'implication dans des chantiers de construction de leurs propres logements peuvent encore donner à ceux-ci l'espoir d'une vie digne, à condition que le minimum de moyens soit au rendez-vous.
Enfin, Benoît Delépine et Gustave Kervern ont choisi de prendre justement le contre-pied, en affichant des parents indignes, désireux d'éviter tout contact avec leurs punks de fils, aujourd'hui dans le besoin. Situant l'action du « Grand soir » dans une zone commerciale qui devient alors le symbole marchand de leur exclusion, ils stigmatisent le comportement des employeurs (culture du résultat, licenciements) comme celui des consommateurs (essayent en magasin et achètent sur le net...), rejetant la culpabilité d'une précarité grandissante sur le manque de rébellion ambiant.
Pourtant ce n'est bien évidemment pas le seul facteur qui favorise la pauvreté. En Bulgarie, à Sofia, il ne reste plus que 13 ambulances publiques pour plus de deux millions d'habitants. Le documentaire « Sofia's last ambulance » alerte sur la disparition progressive du service public, se concentrant, en choisissant d'user du hors champs pour les patients, sur la difficulté du travail des personnels au quotidien, et leur légitime inclinaison vers le privé, mieux payé. Mais au passage, le réalisateur livre une peinture d'un pays en décrépitude, montrant la difficulté d'accès au soin, et la misère quotidienne de gens qui se réfugient dans l'alcool (le SDF qu'on balade d'hôpital en hôpital...), voire de familles qui cherchent à faire hospitaliser des personnes âgées qu'ils ne peuvent plus prendre en charge.
Enfin, terminons par « Reality » de Matteo Garrone, comédie cynique sur une inclinaison pour la télé-réalité qui vire à l'obsession. Sorti du milieu artificiel du spectacle et des grandes familles, on découvre la réalité quotidienne d'un commerçant, ses rapport aux autres étant progressivement biaisés par cette fameuse célébrité en ligne de mire. Si le héros rejette sans vergogne un SDF, son mépris se transforme en intéressement lorsqu'il se croit surveillé. Garrone dépeint alors une Italie défraîchie, mesquine, où tout est bon pour arnaquer son prochain (le trafic de robots à tout faire, le prix supérieur pour les femmes venues de Rome...), la générosité ne renaissant que par intérêt. Une vision individualiste du monde d'aujourd'hui, certainement fort juste.