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Berlin 2016 - Bilan : Des thèmes d'actualité

L'immigration

Bien entendu le thème en plein sous les feux des projecteurs actuellement au niveau de l'Europe aura valu au très décevant "Fuocoammare" de recevoir l'Ours d'or. Film poétique et poseur, le nouveau film du réalisateur de "Sacro GRA" aura séduit le jury et divisé les festivaliers, s'avérant traiter de manière très lointaine son sujet, même s'il incarne la séparation entre deux mondes (celui des locaux et celui des migrants à Lampedusa) qui se tournent le dos au lieu de se cotoyer. "Soy Nero" de Rafi Pitts traitait du même sujet, suivant les traces d'un Mexicain tente de revenir aux USA alors qu'il y est né. Un véritable parcours du combattant, montrant l'injustice d'une ségrégation ancrée dans les mœurs et presque dans les règles d'une société hypocrite. Enfin, "United states of love", film polonais, abordait la question de l'émigration au travers d'un des quatre portraits de femmes proposés, se concentrant sur l'espoir déjà déçu d'une vie meilleure à l'époque post chute du mur de Berlin. Une vision cruelle de la séparation d'un couple entre Est et Ouest.

Le poids de l'histoire

Comme souvent, au Festival de Berlin, on trouve des films traitant du passé de l'Allemagne et de ses heures sombres. Ce fut le cas en 2016 de "Alone in Berlin", film tourné étrangement en langue anglaise par Vincent Perez, qui mettait en scène un couple d'Allemands ayant perdu leur fils à la guerre et tentant de dénoncer les mensonges d'Hitler. Peu convainquant, le film tourne vite en rond faute d'un réel suspense (tout le monde se doute de comment cela a pu finir) malgré la qualité de jeu du duo Emma Thompson / Brendan Gleeson. Côté section pour ados "Le journal d'Anne Frank" constituait une nouvelle adaptation plutôt fine du fameux ouvrage, contant non seulement les heures d'angoisse de 8 personnes enfermées pendant deux ans dans les hauteurs d'un immeuble d'Amsterdam, mais dressant aussi le portrait d'une jeune fille juive amenée à mûrir trop vite.

"Genius", histoire de la jeunesse torturée de Thomas Wolfe et de ses relations avec son éditeur a un peu déçu dans son évocation des tristes heures de la grande dépression, donnant uniquement à voir en toile de fond les files d'attente et la soupe populaire, tout en préférant se concentrer sur les cabotinages d'un Jude Law bien peu inspiré. Heureusement, "Mort à Sarajevo" de Tanis Tanovic (Grand prix du jury) aura réussi à évoquer les division d'un peuple, en incarnant symboliquement au travers du positionnement de personnages dans un même immeuble (un hôtel de Sarajevo) un résumé de la société d'aujourd'hui. Un brûlot efficace mettant en avant l'incapacité des instances internationales (ici l'Europe) à jouer leur rôle et à amener durablement une réconciliation.

Le contrôle des individus

Sujet politique par essence, le contrôle de la vie des citoyens était au centre de plusieurs films, sous l'angle à la fois des affaires secrètes comme de la place des traditions et de l'autorité, comme au final des règles sociales. C'était le sujet principal de l’époustouflant documentaire "Zero Days", montrant comment les données de chacun sont fragilement protégées et comment les pratiques de cyber-attaques développées par certains pays peuvent mettre en danger l'économie du monde entier.

Le film tunisien "Hedi" a créé la surprise en remportant à la fois le Prix du meilleur premier film et celui du Meilleur acteur, pour son portrait d'un jeune homme réservé découvrant l'amour lors d'une mission alors qu'il est sur le point de se marier. Un récit d'émancipation dans un film parabole sur un pays non encore prêt à assumer sa liberté fraîchement gagnée.

"Sufat Chol", film israélien, témoignait de toute la pression sociale et familiale mise sur le dos des femmes du moyen orient, avec une nouvelle histoire d'amour contrariée et de mariage arrangé. Côté Nouvellle Zélande, Lee Tamahori nous proposait le portrait d'un clan divisé par l'autorité du grand père, chassant l'un de ses petits fils pour ses écarts de conduite. "Mahana", fresque émouvante, réussit à séduire par son casting impeccable, une surface d'humour et de cynisme contrebalançant un discours de fond sur le poids excessif des traditions et les difficiles avancées vers la modernité.

Les règles de comportement en société sont elles aussi l'objet récurrent de nombreux films. "A quiet passion" de Terence Davies mettait en évidence le carcan dans lequel les femmes du XIXe siècle étaient contrainte de rester enfermées, s'isolant parfois elles-mêmes de peur d'obéir aux règles de l'homme. Élégant portrait d'Emily Dickinson, évoquant à la fois ses écrits et ses amour contrarié, le film confirme tout le talent d'actrice de Cynthia Nixon (l'avocate de la série Sex and the City. Portrait d'un jeune homme en pleine tentative d'émancipation dans les années 50, "Indignation", adaptation du roman éponyme de Philip Roth, avance sur le fil du rasoir entre comédie de mœurs et récit dramatique des premiers élans déçus ou contrariés par les jeux de représentation qu'impose la société. Un récit doux-amer où la question du refus d'affiliation à une religion se heurte à une société entièrement basée sur celles-ci.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur