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ZOOM SUR UN THÈME : LES ÉLECTIONS EN 9 FILMS

Les élections : ce symbole démocratique. C'est le jour où citoyens et citoyennes font entendre leur voix par le biais de leur bulletin de vote. En cette année 2017, et à quelques heures du premier tour de l’élection présidentielle, la rédaction d’Abus de Ciné s’est penchée sur cette tradition au travers de neuf longs-métrages abordant le thème électoral sous différents angles. De quoi réfléchir un peu sur le sens que revêt le vote dans nos démocraties modernes.

1992 // BOB ROBERTS
de Tim Robbins
avec Tim Robbins, Alan Rickman, Ray Wise, Helen Hunt, Giancarlo Esposito, James Spader...

"Bob Roberts" est le premier film de l'acteur Tim Robbins. C'est en 1992 que l'acteur endosse le rôle de metteur en scène pour cette histoire improbable. Improbable vous avez dit ? Un homme du show-business ayant des hobbies extravagants (la musique pour certains, les jeux télés pour d'autres), qui n'a aucune expérience politique, tenant des propos ouvertement racistes et xénophobes ? Cela ne vous rappelle rien ? L'Amérique dans son histoire est gorgée d'exemples de ce type de candidats. Des hommes venus un peu de nulle part voulant se rapprocher de la politique ou même s'essayer à en faire. Ronald Reagan en est un parmi tant d'autres. Mais la résonance est d'autant plus forte à l'heure où nous écrivons ses lignes. Car notre année 2016 aura été chamboulée par l'arrivée aux États-Unis de Donald Trump ; un personnage haut en couleur, fortement décrié par une partie de sa population ainsi que par l'opinion internationale, à fortes tendances xénophobes (entres autres). Lorsque Tim Robbins écrit son scénario (car oui il est aussi scénariste de son film) en 1990 il n'aurait pas imaginé que l'histoire se répète. Visionnaire vous avez dit ? Pour en finir avec le parallèle sur l'actualité, par rapport à nos propres élections cette fois, le film de Tim Robbins traite également de ces candidats un peu sorti de nulle part, ayant une forte personnalité (que l'on soit d'accord avec le fond ou non bien entendu). Bob Roberts est cet archétype d'un homme qui décide sur un coup de tête de s'engager dans la politique. Le film montre que cela marche auprès du peuple (la réalité aussi, nous l'avons bien vu).
Mais Tim Robbins, évidemment, signe ici une comédie satirique, dressant un portrait d'une Amérique en perte de repères se dirigeant vers le premier homme qui semble proche d'elle. D'ailleurs la volonté manifeste de l'acteur/réalisateur/scénariste de porter plusieurs casquettes prouve ce désir d'écorcher tout le monde au passage même lui-même. Il y a un côté mégalomane dans cet volonté d'occuper le plus de postes afin d'avoir un total contrôle artistique sur son œuvre. Le rapprochement avec son double fictif, Bob Roberts, est plus que visible. Une volonté d'être tout et partout à la fois. Comme Tim Robbins, il court sur la scène, le front qui perle, prêt à dégainer la guitare, la caméra elle-même a du mal à le suivre. On pourrait parler des seconds rôles, du délectable numéro de Ray Wise en adversaire démocrate en passant par notre regretté Alan Rickman, mais toute la subtilité du rire grinçant que procure cette comédie vient de ce rapprochement avec la réalité. Ici ,même le démocrate est un pourri. Tout comme Bob Roberts : innocenté par la justice, il continue ses trafics de drogue clandestins. Tous pourris, me direz-vous, mais c'est aussi de par sa mise en scène caméra épaule à la limite du documentaire que le film tend à se reconnecter à une réalité peu visible pour nous électeurs. Celle des coulisses, celle des bagarres dans les couloirs de télévisions, celle de ces personnages moralement discutables mais éminemment cinématographiques. Tim Robbins sort son film à l'époque en pleine élection présidentielle aux États-Unis. Il est alors fortement conseillé d'y retourner jeter un coup d’œil avant que les nôtres ne se terminent.

Germain Brévot

1997 // DES HOMMES D'INFLUENCE
de Barry Levinson
avec Dustin Hoffman, Robert De Niro, Denis Leary, Anne Heche, Willie Nelson, Andrea Martin, Kirsten Dunst, William H. Macy…

Que serait une élection politique sans les médias qui la couvrent ? Non, tournons plutôt la question autrement : que serait une élection politique sans des médias que l’on conditionne ? Bien plus inspiré ici que sur "Rain Man" ou "Sphère", Barry Levinson prend l’idée au pied de la lettre avec une satire ravageuse qui, à l’époque, avait le culot d’avoir été écrite bien avant l’affaire Lewinsky et la guerre en Irak. Visionnaire, le film ne l’était pourtant pas fondamentalement. Tout juste pouvait-on considérer qu’il mettait en pratique ces fameuses « illusions nécessaires » que Noam Chomsky avait dévoilées dans ses critiques des médias de masse et des manipulations qu’ils engendrent. Au même moment, Benoît Delépine faisait d’ailleurs pareil en mettant son personnage de Michael Kael au cœur d’un long-métrage quasi identique.
Et c’est quoi cette idée de scénario ? En gros, pour ne pas voir sa réélection lui passer sous le pif (surtout avec une accusation d’attouchements sexuels sur une majorette égarée dans le bureau ovale !), le président américain mise sur une diversion massive, consistant à inventer une guerre contre un pays ennemi (and the winner is… l’Albanie, « parce que personne ne sait où c’est » !) avec le soutien des médias. Un homme de l’ombre (DeNiro) et un producteur hollywoodien (Hoffman) se lancent donc dans ce projet fou, avec tout ce que cela suppose d’artifices, de mensonges, de bidonnages, d’effets spéciaux, de héros de pacotille et de faux morts. Cela vous semble invraisemblable, voire dur à avaler ? Il le faudra pourtant bien : à une époque où toute information (insignifiante ou insensée) donne du grain à moudre aux médias (en prenant soin, bien sûr, de la diffuser d’abord et de la vérifier ensuite !), tout est possible, même le pire. La télévision, les politiques, le cinéma : tout le monde en prend pour son grade dans "Des hommes d’influence", film acerbe qui dissèque l’image-mensonge dans le discours-vérité. Parce que la politique, c’est comme tout : une grosse cour de récré où celui qui fait le plus gros show est en général celui qui a le plus de chances de voir les lumières se braquer sur lui. Sans forcément prouver qu’il en soit une lui-même.

Guillaume Gas

1998 // PRIMARY COLORS
de Mike Nichols
avec Emma Thompson, John Travolta, Billy Bob Thornton, Kathy Bates, Adrian Lester…

Sorti en 1998, "Primary Colors" n’a pas pris une ride ! Le film retrace la campagne électorale de Jack Stanton à travers le regard de Henry Burton, le petit-fils d’un leader noir ayant milité pour les droits civiques des Afro-américains.
Dès les premières minutes du film, le spectateur est fixé : le gouverneur Stanton salue la foule et Henry décrypte l’exercice de la poignée de main parfaitement maîtrisé par Stanton. Déjà, pointe le cynisme et la désillusion dont Henry sera victime. Il se retrouve embarqué presque malgré lui dans cette équipe électorale. Il confie à Susan, la femme du gouverneur, vouloir faire l’Histoire en soutenant un candidat qui fasse vibrer le peuple, mais cet idéaliste va vite déchanter.
Le film rappelle que tout prétendant à la présidence, même portant les plus belles idées, traîne son passé, ses erreurs personnelles et doit faire face à toutes sortes de tentations (corruption, drogue, sexe…). Jack Stanton ne fait pas exception à la règle puisqu’il est impliqué dans de nombreux scandales sexuels qui ne sont pas sans rappeler les frasques de Bill Clinton lors de la campagne présidentielle de 1993.
Le film de 2h20 met à l’écran un nombre impressionnant de rebondissements et il faut avouer que le scénario est plutôt bien ficelé en dépit de son caractère un peu répétitif. Cependant, tout est intelligemment orchestré : John Travolta, interprétant Stanton, brille par son charisme sans être constamment à l’écran. Le spectateur ne peut, d’ailleurs, prendre toute la mesure de l’importance du gouverneur que lorsqu’il est n’est pas présent : il continue d’être le centre des discussions, des préoccupations et des engouements, incarnant l’espoir pour tous ses partisans. En effet, malgré les nombreuses casseroles qu’il traîne, Stanton possède une grande capacité d’écoute et sait faire preuve d’une réelle empathie, des qualités de plus en plus rares dans le monde politique qui lui permettent de toucher les couches les plus populaires de l’électorat. Le personnage de Libby Holden, magnifiquement interprété par Kathy Bates, incarne parfaitement la force des convictions et un idéalisme sans compromis alors qu’Henry, lui, choisit de mettre de l’eau dans son vin. Finalement, "Primary Colors" montre toute la complexité d’une sphère politique qui ne fait plus rêver personne.

Lucie Gaillard

2000 // O'BROTHER
de Joel Coen & Ethan Coen
avec George Clooney, John Turturro, Tim Blake Nelson, John Goodman, Wayne Duvall, Ray McKinnon, Daniel von Bargen, Holly Hunter…

Dans ce chef-d’œuvre (parmi d’autres) des frères Coen, figure une séquence avec un candidat aux élections du gouverneur du Mississippi dans le contexte très particulier de la Grande Dépression. Les personnages arrivent alors dans une bourgade où ce politicien fait sa campagne de terrain. Le contexte électoral n’est pas immédiatement visible puisque la scène ressemble d’abord à une fête de village avec un trio chantant "Keep On the Sunny Side" face à la foule. Mais un changement de point de vue fait apparaître des bannières promouvant un certain Homer Stokes (clin d’œil à Homère, auteur de l’Odyssée dont le scénario s’inspire très librement). Cette scène est un condensé de populisme rustique et de propagande aguicheuse : musique pour chauffer la foule (tiens, « stoke », ça veut dire « attiser »), discours anti-système et quasi diffamatoire, exploitation d’un nain au côté du candidat comme faire-valoir, métaphore grossière du balai, humour gras… On dirait un meeting d’extrême droite qui manipule les masses, n’est-ce pas ? Bingo : dans une autre scène, Homer Stokes s’avère être le « Grand Wizard » du Ku Klux Klan. La façon dont il se discrédite en public dans ses délires racistes vaut son pesant de cacahuètes. Et c’est son concurrent, Menelaus « Pappy » O’Daniell, qui en profite pour délivrer un discours fédérateur alors qu’il était en voie de perdre l’élection. Les retournements de dernière minute en politique, ça peut avoir du bon.

Raphaël Jullien

2008 // HARVEY MILK
de Gus Van Sant
avec Sean Penn, Josh Brolin, Emile Hirsch, James Franco, Douglas Smith, Diego Luna, Brandon Boyce, Kelvin Yu…

Les États-Unis ont une importante tradition de lutte pour les droits civiques. Dans l'Amérique des années 70, Harvey Milk, un homosexuel, va s'inscrire dans cette tradition en œuvrant pour les droits des gays, gagnant ainsi sa place parmi les grands leaders ayant changé le visage des États-Unis. Durant environ deux heures, Gus Van Sant nous conte le parcours de cet homme politique pas comme les autres.
Il faut dire que cette histoire avait un potentiel cinématographique certain. On y trouve de l'amour, des drames et des luttes, prenant place dans un quartier devenu emblématique de la communauté gay de San Francisco, le Castro. On y découvre une communauté discriminée voire persécutée, à une époque où l'Amérique était bien moins ouverte qu'aujourd'hui vis-à-vis de l'homosexualité.
Gus Van Sant retranscrit très bien cette ambiance de tension dans ce biopic où Sean Pen se démarque par sa justesse. On ressent et on admire la conviction d'Harvey Milk, un homme persuadé qu'il a le pouvoir de changer les choses et qui a finalement raison ! Un personnage qui nous émeut et nous fait rire mais qui inspire, avant toute chose, un immense respect. Un film à voir si ce n'est pas déjà fait.

Adrien Vérot

2008 // SWING VOTE
de Joshua Michael Stern
avec Kevin Costner, Dennis Hopper, Kelsey Grammer, Paula Patton, Nathan Lane, Stanley Tucci, Madeline Carroll...

Cette comédie américaine, directement sortie en vidéo chez nous en 2002, met en scène un Kevin Costner au centre de toutes les attentions : et pour cause, il devient l’unique citoyen américain à pouvoir départager les deux candidats à égalité de voix dans la course à l’élection présidentielle, son bulletin de vote ayant été invalidé le jour des suffrages. Voilà qu’un seul homme peut décider de l’avenir des Etats-Unis !
« Voter ne sert à rien, ça te donne juste l’impression d’avoir du pouvoir », dit Bud à sa fille au début du film. Il ne fait pas si bien dire : en passant du statut d’anonyme à celui de citoyen le plus courtisé des USA, Bud profite des bienfaits de la générosité douteuse des deux candidats pour gagner sa voix. La campagne est alors tournée en dérision avec le changement radical de leurs convictions politiques pour aller dans le sens des opinions du futur votant. Ainsi, le Républicain se trouve tout à coup des ambitions écologiques et devient favorable au mariage gay. Quant au Démocrate, il est subitement prêt à construire un mur au Nouveau Mexique pour empêcher l’immigration galopante et se positionne contre l’IVG !
Les deux hommes ne parlent en effet plus à « la masse » mais ils s’adressent à un seul homme qu’ils essaient de mettre dans leur poche. Alors qu’est-ce qu’une course à la présidence ? Gagner à tout prix ou faire adhérer à ses idées ? Et qu’est-ce qu’un vote ? Glisser un bulletin dans une urne ou utiliser ce pouvoir pour faire entendre sa voix ?
"Swing Vote", par le biais de la comédie, éveille au rôle du citoyen et éduque sur l’importance de s’intéresser à ces grands rendez-vous politiques qui ont des conséquences pour soi et pour des millions d’autres concitoyens.

Mathieu Payan

2011 // LA CONQUÊTE
de Xavier Durringer
avec Denis Podalydès, Florence Pernel, Bernard Le Coq, Hippolyte Girardot, Samuel Labarthe, Mathias Mlekuz, Grégory Fitoussi, Pierre Cassignard…

L’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 a souvent été qualifiée de « conquête » parce qu’elle a été assez marquante du point de vue de la stratégie électorale. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici, de montrer les étapes progressives qui ont permis au candidat de se forger une image particulière en s’entourant des bonnes personnes pour délivrer le message gagnant. Si le récit est construit autour de multiples anecdotes devenues célèbres, en adoptant un ton léger, il ne verse pas pour autant dans la futilité. Au contraire il saisit bien les principaux enjeux, et restitue avec habileté les coulisses du monde politique et du pouvoir. Cette réussite est notamment due au scénario de Patrick Rotman, spécialiste des documentaires historiques et des portraits d’hommes d’État, dont les dialogues retranscrivent savoureusement les relations réelles entre les politiciens. En particulier celles qui opposent Sarkozy à Chirac, deux adversaires qui se détestent tout en se respectant car ils ont conscience d’être les deux principales « bêtes politiques » de leur époque. Malgré certains aspects caricaturaux, "La Conquête" s’impose au final comme l’un des meilleurs films politiques français (la concurrence n’étant pas excessivement rude).

David Chappat

2014 // LOS HONGOS
de Oscar Ruíz Navia
avec Jovan Alexis Marquinez, Calvin Buenaventura, Gustavo Ruiz Montoya, Atala Estrada, María Elvira Solis, Dominique Tonnelier, Angela Garcia…

Dans le film colombien "Los Hongos", la politique n’est pas le sujet principal mais elle est présente en toile de fond, pour contextualiser le quotidien des jeunes personnages, Calvin et Ras, et les élections que le film évoque sont avant tout vues du côté des citoyens et révèlent un certain décalage entre les générations (les jeunes n’étant pas dépolitisés puisqu’ils s’intéressent par exemple au Printemps arabe). Le réalisateur, Oscar Ruíz Navia, indique subtilement la saturation médiatique dans une courte scène chez le père de Calvin : celui-ci fait la sieste avec la radio allumée (qui parle de politique), puis s’installe devant la télé et zappe (le poste restant hors-champ) : toutes les chaînes diffusent des discours d’Álvaro Uribe (président colombien de 2002 à 2010). Avec le même personnage et ses amis, on a aussi le droit à une scène de « débat de comptoir » entre électeurs (dont se désintéressent Calvin et Ras). Comme l’univers du street art est un sujet central, la caméra s’attarde souvent sur les murs de la ville et l’on y voit régulièrement des affiches, alignées par dizaines, pour un candidat à la mairie de Cali : Hector Albarracín. Le réalisateur joue sur l’esthétique documentaire pour donner plus d’authenticité et le spectateur ne sait pas toujours ce qui est vrai ou fictif. En l’occurrence, ce même Albarracín s’avère fictif lors d’une scène de visite dans une église qui tourne au mini-meeting clientéliste avec une effervescence quasi mystique des paroissiens – le parallèle entre politique et religion est à méditer...

Raphaël Jullien

2017 // CHEZ NOUS
de Lucas Belvaux
avec Emilie Dequenne, André Dussollier, Guillaume Gouix, Catherine Jacob, Anne Marivin, Patrick Descamps, Charlotte Talpaert…

La force terrifiante du nouveau film de Lucas Belvaux est d’arriver à entremêler destins intimes et problèmes du quotidien, avec la découverte des dessous d’une campagne électorale entièrement vouée à l’avènement d’un leader (une femme) d’extrême droite, et à la satisfaction de la soif de revanche sociale de personnes en difficulté, notamment financière. Avec l’embrigadement d’une infirmière à domicile pleine de bonne volonté, le scénario parvient à décortiquer les rouages d’un système souhaitant remplacer celui établi pour satisfaire non pas l’intérêt général, mais ses intérêts particuliers.
Récit de l’asservissement calculé et du mensonge devenu façade irréprochable, à force de désinformation et de déceptions, le film n’offre que peu de perspectives d’issues, entre violence des groupes néo-nazis et bêtise liée à la peur et la misère, mais aussi parfois à l’inculture et la jalousie. Il doit beaucoup à ses interprètes, Catherine Jacob et André Dussollier en manipulateurs médiatiques, Guillaume Gouix en ambivalent amoureux, et Émilie Dequesne, en femme fatiguée de lutter, qui à force de voir la misère des autres et de crouler sous les problèmes, va s’engager dans un système qui ne la considère guère en tant qu’individu.

Olivier Bachelard

Adrien Verot Envoyer un message au rédacteur

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