DOSSIERIl était une fois
IL ÉTAIT UNE FOIS… Jackie Brown, de Quentin Tarantino
Comment rebondir suite au succès planétaire de son précédent (et seulement second !) film, ce classique instantané qu’est "Pulp Fiction" ? Voilà une question qu’a forcément dû se poser Quentin Tarantino, au sortir d’une Palme d’or, d’un Oscar du meilleur scénario original et d’une pluie d’autres récompenses.
Et c’est en allant là où l’on ne l’attendait pas que le scénariste-réalisateur aura su livrer ce qui reste le film le plus atypique, et sans doute incompris, de sa prestigieuse filmographie.
UNE FEMME D’INFLUENCE(S)
Romancier et scénariste américain reconnu pour ses polars et ses westerns, Elmore Leonard avait déjà eu les honneurs d’être adapté au cinéma, notamment par Delmer Daves ("3h10 pour Yuma"), Richard Fleischer ("Mr. Majestyk", avec Charles Bronson) ou encore Barry Sonnenfeld ("Get Shorty"). Personnages truculents, dialogues enlevés et récits mouvementés... il n’est pas difficile de voir ce qui a pu intéresser Quentin Tarantino dans l’univers de Leonard. En adaptant le roman Punch créole, le jeune cinéaste ne fait pas que s’immiscer dans une histoire qui semble lui convenir. Non, il s’approprie littéralement le roman, se permettant de nécessaires trahisons à l’œuvre originale. Car dans le livre de Leonard, l’héroïne se prénomme Jackie Burke et est blanche. Et pour que le film corresponde totalement à son projet de cinéaste, Tarantino change son nom en « Brown » et fait d’elle une icône Black, jusqu’au bout des ongles.
À bien y regarder, il y a deux intentions dans "Jackie Brown". La première, la plus évidente, est de raconter une histoire d’arnaque et de romance platonique. La seconde, celle qui prolonge le travail du cinéaste sur ses deux premiers films, est de rendre un hommage enflammé à la Blaxploitation et à son icône la plus glamour, l’actrice Pam Grier. Actrice culte des années 70, notamment de "Coffy, la panthère noire de Harlem" ou "Foxy Brown", dans lesquels elle prenait les armes pour exterminer la vile gente masculine, Pam Grier ne tournait plus que dans des seconds rôles (on avait pu la voir dans "Los Angeles 2013" de John Carpenter ou "Mars Attacks!" de Tim Burton), avant que Tarantino, fidèle à sa réputation de « ressusciteur » d’anciennes stars, ne lui offre le rôle-titre de son nouveau film, attendu comme le messie par tous les cinéphiles de la planète. Et quel rôle !
DES SECONDS RÔLES EN OR
S’il est totalement porté par son actrice principale, tour à tour mutine, cynique, émouvante, sexy ou décidée, "Jackie Brown" doit beaucoup au reste de son casting. C’est la grande force de Quentin Tarantino que d’offrir continuellement des rôles en or à des acteurs parfaits, quand bien même ils ne sont pas les protagonistes de l’intrigue. Il n’y a qu’à voir le grand Robert De Niro, incroyable dans la peau d’un vieux gangster fatigué et largué, ou bien la charmante Bridget Fonda, tout autant fabuleuse en bimbo entre deux âges accros à la fumette et au minishort, tous deux acolytes du lumineux Samuel L. Jackson, sans aucun doute dans son meilleur rôle. On mesure ainsi le talent incroyable du cinéaste pour une juste caractérisation. Mais s’il y a un acteur qui mérite que l’on s’attarde sur lui, c’est bien le trop méconnu Robert Forster. Lui aussi un acteur culte des 70’s / 80’s ("Don Angelo est mort", "L’Incroyable Alligator" et, bien sûr, le "Vigilante"de William Lustig), il forme avec Pam Grier un touchant couple de quadragénaires romantiques, qui se trouve être le cœur-même du film.
Plus encore que sur "Reservoir Dogs" ou "Pulp Fiction", Tarantino semble avoir à cœur de nous raconter une histoire. Simplement. Car si les références cinéphiliques (le générique notamment, calqué sur celui du "Lauréat") sont toujours présentes, elles ne prennent jamais le pas sur l’intrigue principale, qui n’est finalement que l’histoire d’une femme voulant échapper à sa condition en retournant les méthodes des « salauds » contre eux-mêmes. Discrète et élégante, quand elle n’est pas d’une virtuosité assez bluffante (le plan-séquence du centre commercial…), la mise en scène de QT se contente d’accompagner le récit, laissant à ses stupéfiants comédiens (et à leurs fabuleux dialogues) le soin de donner vie à ses personnages plus vrais que nature. Il y a là quelque chose qui anticipe de sept ans l’émotion de "Kill Bill, volume 2", dans sa désacralisation des icônes (ici, l’héroïne black et le gangster), au point de les rendre véritablement humain.
BOUDÉ PAR LE PUBLIC
Forcément comparé à "Pulp Fiction", le troisième long métrage de Tarantino n’aura pas le succès escompté. Le film est boudé par le public, et la presse n’est pas tendre, ne pardonnant pas au cinéaste de s’éloigner de ses deux premiers films. Il lui faudra alors six ans pour revenir à la réalisation. Six ans à peaufiner le script du futur "Inglourious Basterds", à se remettre en question, et à prendre du recul. Avant de revenir avec fracas sur le devant de la scène. Mais ça, c’est une autre histoire…