LA PASSION SELON BÉATRICE
Dalle sur Pier
A l’occasion d’un voyage en Italie en septembre 2022, l’actrice française Béatrice Dalle entame une quête sur les traces du cinéaste italien Pier Paolo Pasolini qu’elle considère comme l’homme de sa vie…
Dès le début, avouons-le tout de suite, on sent que ça coince. En effet, il suffit d’une Béatrice Dalle débitant face caméra un texte trop écrit et trop appuyé (donc fatalement trop ampoulé pour avoir l’air naturel) pour que l’on redoute fissa un possible malentendu sur la nature même du projet. Quand bien même ceci n’est là qu’une amorce vite évacuée, c’est la notion même de « quête » que l’on va se permettre de questionner. Quelle quête, au fond ? Celle d’une actrice vouant une passion illimitée pour un artiste sacralisé ? D’une sorte de pèlerinage mystique sur les lieux de tournage des films d’un cinéaste précieux (Pasolini, tout de même !) dont il s’agit de revisiter la personnalité et le parcours ? Celle d’une trinité cosmopolite (un réalisateur belge qui filme une actrice française qui évoque un cinéaste italien) à des fins de dialogue cinéphile entre les vivants et les morts ? S’il est un peu tout ça à la fois, "La Passion selon Béatrice" pèche trop souvent par manque d’approche inédite vis-à-vis de son double (triple ?) sujet d’analyse. De là à penser que la citation de Pasolini mise en évidence sur l’affiche (« Mon indépendance qui est ma force induit ma solitude qui est ma faiblesse ») ne serait pas juste un écho direct avec celle qui se définit comme sa plus grande admiratrice, mais aussi un aveu déguisé sur le film lui-même (théoriquement libre mais trop replié sur ses acquis), il n’y a qu’un pas.
À moins d’être un néophyte, il n’y a ici rien de neuf à glaner sur notre Béa adorée. Si l’on excepte une anecdote pas piquée des hannetons sur sa collaboration loupée avec Jean-Luc Godard, tout le reste, de sa fascination pour le morbide à son aura mystico-punk en passant par l’évocation cash de son enfance cabossée et de son quotidien sans attaches, sonne comme une redite de tout ce qu’elle avait déjà pu confesser dans mille interviews (osons même dire qu’elle avait fait le tour de la question lors de sa participation au Divan de Fogiel il y a quelques années). Le problème est identique concernant Pasolini lui-même : pas un seul des témoignages ici recueillis ne vient appuyer quoi que ce soit d’inédit sur son travail, sa personnalité, sa pensée politique ou encore les nombreuses théories qui ne cessent encore d’entourer son assassinat. On sent surtout – et c’est peut-être là le point fatal – que l’objectif consistait moins ici à théoriser de façon ludique sur Pasolini qu’à étaler tout un tas de lieux communs à son sujet, et ce dans le seul but de prêcher des convertis – l’actrice passe tout de même les trois quarts du temps à acquiescer à chaque info relevée. Quant à l’acteur-réalisateur Clément Roussier, sa fonction d’accompagnateur tend à abîmer ces instants de discussion tant il ne fait ici que traduire en français à Béatrice ce qu’untel vient de lui confier en anglais ou en italien – le petit passage avec Abel Ferrara va même jusqu’à enfoncer le clou de la paraphrase en juxtaposant la traduction orale aux sous-titres déjà affichés à l’écran ! Côté narration, il y a donc de quoi faire la grimace.
C’est toutefois sur la dimension plastique du documentaire que les choses s’améliorent, ne serait-ce que parce que Fabrice Du Welz, vrai franc-tireur de la fiction belge que l’on persiste à suivre dans sa trajectoire créative de plus en plus instable, tente ici une incursion hors du registre fictionnel. En fervent défenseur du tournage en pellicule, le réalisateur de "Vinyan" et d’"Inexorable" mise ici bon nombre de ses jetons sur un bel emballage photographique en noir et blanc, quelque part entre la patine du cinéma néoréaliste et la pure relecture d’une esthétique un peu oubliée à la Coutard. Il y a quelque chose de subtilement mémoriel dans ces moments d’errance sur fond de Mozart ou de Vivaldi, épiant la silhouette de Béatrice Dalle dans ces espaces antiques que chérissait tant Pasolini, sans doute parce qu’au sein de ces décors surgissent ici et là des fétiches et des effets de miroir à forte connotation méditative – voir cette belle rencontre entre deux actrices qui clôt le récit. Mine de rien, ces moments-là aident même à clarifier quelque chose sur Béatrice Dalle : c’est lorsqu’elle laisse parler les mille nuances de son visage et de son corps que l’actrice de "Trouble Every Day" apparaît à ce point immensément émouvante. On en prend le pouls dans les deux plus beaux moments du film : d’une part son faciès transi de larmes en pleine projection de "L’Évangile selon St Matthieu", d’autre part ce joli qualificatif de « livre ouvert » que lui fait la scénariste des "Mille et une nuits" en admirant les mille et une références culturelles tatouées sur ses bras et ses épaules. De vrais grands moments de cinéma, forts et authentiques. Ce sont hélas les seuls avec lesquels on quitte la projection.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur