DIRECT ACTION
Un autre rythme
Du terme de ZAD (Zone d’Aménagement Différée), on est en quelque sorte passé avec le secteur de Notre Dame des Landes, voué à accueillir le troisième aéroport d’une région parisienne devenue tentaculaire, aux Zones d’Action Directe. Les manifestations ayant eu lieu sur place ayant conduit à l’abandon du projet sous la présidence Macron, c’est vers Sainte-Soline et sa mega bassine que se sont tournés les regards et des militants de plus en plus sous pression…
Mention spéciale au Prix du meilleur documentaire au dernier Festival de Berlin, mais aussi récompensé du prix du meilleur film dans la section Encounters, "Direct Action" est un film qui prend volontairement son temps (environ 3h35 au total) pour témoigner des mécanismes de lutte sociale, et s'en éloigner en montrant comment une communauté peut faire corps, au-delà, dans son mode d’organisation comme, pour certains, de vie, face à un État qui n’a plus comme réponse que la répression et la surveillance. Terminant d’ailleurs sur la tentative d’un des derniers gouvernements de dissoudre l'association Les Soulèvements de la terre, le film nous immerge d’abord avec quelques images d’archives dans les manifestations et affrontements de 2018 à Notre Dame des Landes, avant de nous plonger dans la vie d'une communauté jusqu’à un entracte central, plan volontairement anodin sur un chemin vicinal sous la pluie, où gît la carcasse d’un véhicule. Ouvrant la deuxième partie sur la lutte contre la méga bassine de Sainte-Soline, le film se concentre ensuite sur l’organisation d’une contestation amenée à se répéter en d’autres endroits.
Particulièrement intéressante, la première partie dissèque d’abord les interrogatoires policiers par un échange sur notamment la stratégie des sables mouvants, puis entraîne dans un autre rythme de vie, contestant par là celui effréné qui nous est imposé par le monde moderne. On découvre ainsi nombre de métiers, usant de manières de faire paraissant d’un autre temps (cheval de trait pour le labour, ramassage des doryphores, forge...) mais montrant en creux la création d’un écosystème en propre, même si aucune mention n’est faite ici de la question du renoncement à certains éléments d'un mode de vie moderne. La seconde partie se concentre elle sur la manière d’organiser la lutte face à des projets qui relèvent de l’absurdité écologique, et en miroir sur l’incapacité des pouvoirs publics au dialogue, pointant avant tout les moyens de répression mis en œuvre face à une résistance citoyenne.
Se gardant bien malheureusement de jamais questionner l’égalité devant l’impôt, la nécessité de projets d’intérêt général, ni les limites d’un modèle d’autosuffisance à l’échelle d’une population ou des territoires aux ressources forcément limitées, "Direct Action" fait cependant mouche dans la manière de montrer l’empressement à surveiller ou réprimer plutôt qu’à dialoguer, cantonnant ainsi les opposants à une résistance physique. Alors, même si le film n’est pas exempts de longueurs (15 minutes de pétrissage de farine, deux tournées de 9 crêpiers au lieu d’une seule...) et aurait pu bénéficier de 45 minutes en moins afin de toucher un public plus vaste, "Direct Action" n’en atteint pas moins son but de montrer que d’autres modèles peuvent exister, tout en constituant une formidable base à débat.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur