FINALEMENT
Lelouch Cinematic Universe
Avocat de profession et se sachant atteint d’une sorte de « folie des sentiments », Lino décide un jour de tout plaquer, abandonnant femme, enfants et amis pour s’en aller tracer une route imprévisible à travers la France. Au fil de son trajet, de belles rencontres, des hasards, des coïncidences… et surtout des souvenirs qui remontent…
Il ne faut désormais plus se le cacher : depuis quelques années, Claude Lelouch démontre d’un film à l’autre qu’il n’a plus grand-chose à raconter de neuf, et que son cinéma, plutôt que de se redynamiser par de nouveaux champs de perspectives, fait presque disque rayé. On découvre ainsi chaque nouveau film pour simplement le voir ressasser les mêmes motifs, les mêmes thèmes, les mêmes considérations philosophiques sur le rôle crucial du hasard et de la rencontre (amoureuse mais pas que). Avec, en plus, le piège terrible de l’autocitation qui l’entête à refaire des scènes déjà mises en scène dans le passé, voire même à imbriquer ses anciens longs-métrages dans la diégèse du nouveau jusqu’à former un multivers des plus déroutants. Et si l’intéressé justifie cette démarche par l’envie d’achever ce qu’il prétend n’avoir pas su finir auparavant (rappelons qu’il a toujours estimé chacun de ses films comme le brouillon de ceux à venir), encore faudrait-il dans ce cas que la sensation d’inachevé ne vienne pas pointer son pif sur le dernier travail en date… Rien qu’avec ces quelques constats, le sort de "Finalement" paraît scellé : zéro surprise pour les connaisseurs, désintérêt total chez les néophytes, rejet automatique de la part des détracteurs. Or, comme souvent, le bonhomme sait nous avoir à l’usure jusqu’à ce que l’agréable prenne (un peu) le dessus. Et surtout, après avoir signé les deux films les plus indéfendables de sa carrière, il a ici au moins le mérite de relever (un peu) le niveau.
Rien ne manque au petit Lelouch illustré, riche de tout ce qu’il a su télescoper en six décennies de propositions de cinéma, que ce soit ses mises en abyme, son amour des femmes et des comédiens, sa passion pour les hasards de la vie, sa peinture d’individus chez qui la nuance et la complexité sont des valeurs sûres, son utilisation du procès judiciaire comme ressort narratif pour creuser les caractères et tancer les opinions tranchées, son télescopage de ses passions personnelles (dont la musique et la vitesse sur route) avec les heures les plus sombres de l’Histoire, sa virtuosité à briser intelligemment la chronologie du récit, sa valse des émotions par le biais du mélange des genres et des tons, on en passe et des meilleurs… Mais ses mauvais penchants auteuristes, eux aussi, continuent de lui coller à la peau. Il y aura toujours fort à dire sur sa tendance à l’aphorisme poids lourd façon fortune cookie, sur ses rechutes de ravi de la crèche qui l’amènent à caser de temps en temps un personnage qui prétend être Dieu (pitié Claude, arrêtez ça, c’est grotesque !), sur ses considérations plus que discutables autour de la prostitution, ou encore – on insiste – sur son amour de lui-même et de son travail qui le motive à tracer des liens de parenté entre ses propres films ou à les revisiter sous un autre angle. On ne recensera pas ici les clins d’œil et les relectures (histoire de laisser aux fans le soin d’en repérer au moins deux par scène) mais on se contentera de dire que ce parti pris-là a fait son temps.
Étant donné que la musique prend là encore une place tout aussi forte que dans ses derniers films, un bilan s’impose sur la question. Avec le recul, et même en connaissant l’amour de Lelouch pour les comédies musicales et leur impact émotionnel, on estimera que cela n’a jamais constitué son point fort, en particulier dès lors qu’il fait mine de laisser à la chanson – et surtout à ses paroles elles-mêmes – le soin d’expliciter les sentiments des personnages au lieu de se contenter de les accompagner. On aurait pu penser que le cas foireux des "Parisiens" et de "La Vertu des impondérables" lui avaient servi de leçon (le bide fut à chaque fois total et pas volé), mais non, tel un indécrottable garnement, Lelouch en remet encore une couche. Alors, certes, peut-être estime-t-il que « seules les chansons peuvent exprimer la folie des sentiments » (c’est presque la seule phrase de la chanson, autant dire que vous allez l’entendre une bonne vingtaine de fois !), mais ce qui est sûr, c’est que dans son cinéma, les chansons ont tendance à marteler le propos à intervalles réguliers, et ce avec des paroles répétées aux allures de sentences incontestables, histoire que le spectateur soit incité à bien s’incruster ces petites leçons de vie au fond de la caboche. Or, on le sait très bien, un propos humaniste que l’on s’efforce d’imposer à autrui avec si peu de subtilité, ça a tôt fait de virer au prêchi-prêcha pour neuneus.
Oui, mais voilà… On aura beau lui faire une tonne de reproches (souvent à raison mais pas toujours) sur le contenu de ses films, Lelouch continue de prouver qu’il n’a de leçon à recevoir de personne sur le contenant. Que ce soit dans sa direction d’acteurs ou dans sa mise en scène, dans la (dé)construction narrative comme dans la précision de ses plans-séquences, son style kaléidoscopique continue d’avoir raison de toute critique. Là encore, "Finalement" impose une scénographie douce et chaleureuse qui, à terme, réussit à nous choper au passage et à nous embarquer dans sa ballade. Quand bien même ce que l’on voit est convenu et prévisible, on se sent plutôt bien à suivre ce qui nous est familier et (surtout) exempt du moindre cynisme. Et c’est peu dire que les acteurs ont de quoi sortir grandis de cet art imparable des « figures libres », en particulier un remarquable Kad Merad qui démonte ici son image de stakhanoviste du navet ni fait ni à faire pour embrasser un vrai beau rôle avec charisme et spontanéité – la fibre lelouchienne était même peut-être la corde qui manquait à son jeu d’acteur. Pour le reste, doit-on lire le titre du film comme l’adieu déguisé d’un artiste qui se sent déjà arriver au bout du chemin ? On laissera chacun juger si "Finalement" peut constituer un digne chant du cygne (l’auteur de ces lignes n’en est pas convaincu) tout en étant satisfait qu’il n’écorne en rien l’image du grand cinéaste qu’il est et qu’il restera quoi qu’on en dise.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur