CHRONIQUES CHINOISES

Un film de Lou Ye

Le confinement entre thriller et émotion

En juillet 2019, le réalisateur Xiaorui et son équipe parviennent à rallumer un ordinateur vieux de 10 ans, dans lequel se trouvent les images et des éléments de montage d’un film en partie tourné à l’époque. Il s’agissait de la plongée dans l’intimité d’un homme tombant amoureux d’un autre, mais découvrant que celui-ci a déjà quelqu’un. Peu à peu la production du film recommence et les acteurs sont rappelés, et le complément de tournage est calé pour un mois, à partir de janvier 2020. Mais alors que l’équipe est réunie dans un hôtel de la banlieue de Wuhan, le producteur se voit demandé de renvoyer un des coiffeurs, originaire de là-bas. Les acteurs, hâtant leur départ pour le Nouvel an chinois, se retrouvent alors face aux autorités, qui empêchent les gens de sortir de l’hôtel…

Ce fut l’une des réelles surprises du dernier Festival de Cannes. Présenté en séance spéciale, le nouveau film du réalisateur chinois Lou Ye ("Nuit d'Ivresse Printanière", "Mystery", "Une Jeunesse Chinoise") navigue entre fiction et documentaire afin de mieux aborder la nature même du confinement en Chine et les conséquences désastreuses de la politique zéro-Covid. Partant du prétexte de la découverte d’un projet de film avorté, dont le tournage reprend à la veille d’une pandémie dont l’épicentre est à proximité de l’hôtel où est regroupée l’équipe, dans la banlieue de Wuhan. Montrant les efforts des autorités pour maintenir les gens confinés, l’absence d’information, l’incompréhension ou le refus de la situation, il construit ainsi une ambiance anxiogène très réussie, allant jusqu’à insérer de vraie images filmées via téléphones portables, dénonciatrices de l’inhumanité avec lesquelles les personnes ont pu être traitées alors par les autorités.

De là naît une profonde émotion, forcément teintée de révolte, à la vue des conséquences d’un enfermement long de plusieurs mois : une femme affamée ou pleurant sa famille qui gémit dans la rue, des corps emmenés par dizaines, le destin du Docteur « siffleur », et surtout cette incroyable sortie d’une femme allant dans la rue le jour de lever du confinement, alors que soudain la vie et les bruits de la ville reprennent ce 8 avril 2020. Lou Ye, lui, exploite en réalité ici une histoire secondaire de son propre film "Nuit d'Ivresse Printanière", coupée au montage, et utilise à bon escient le split-screen, pour une scène de début de panique dans le lobby de l’hôtel, ou pour former plus tard une mosaïque de portraits alors que résonne le message aliénant « ne vous regroupez pas ! ». Même si certains passages de dialogues en visio, entre un des acteurs du film dans le film et sa femme finissent par être répétitifs (à l’image peut être de l’ennui qui s’installe dans la vie de chacun au fil du confinement), "Chroniques Chinoises", en poursuivant le récit de manière elliptique jusqu’en novembre 2022, vise profondément juste.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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