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LES DOCTEURS DE NIETZSCHE

Troublant

À l’Hôpital Italiano de Buenos Aires, le Dr. Esteban Rubinstein reçoit des patients dans son bureau pour échanger sur leur ressenti et leur manière de percevoir la médecine. Il réunit aussi ses collègues pour discuter de leurs pratiques et d’une approche qui s’affranchirait des notions de bien et de mal, les écrits de Friedrich Nietzsche venant en écho éclairer leurs comportements professionnels. Et cela a le mérite de questionner et faire bouger les conceptions de leur métier…

En suivant les exercices introspectifs auxquels se livrent 3 des patients du Dr. Esteban Rubinstein (en homme en fauteuil roulant, une femme atteinte d'une leucémie, et un vieil homme fumeur invétéré...), dans un montage alterné avec des réunions du personnel soignant, Jorge Leandro Colas réussit un documentaire saisissant sur les positions relatives du malade et du médecin. Insérant progressivement de plus en plus d'intermèdes, rythmés par le tic-tac d'un métronome, qui entraîne docteur puis patients dans une danse, libre de toutes contraintes, il parvient à créer le trouble, renvoyant au spectateur ses propres interrogations de patient, un jour soumis à des diagnostics, des traitements, des conseils, voire des protocoles…

En mettant en évidence, grâce aux réflexions issues d'écrits de Nietzsche, la possibilité de s'extirper d'une vision de la médecine impliquant « mal » et « bien », et donc amorale et acceptant le doute, le film met sans hésiter les patients comme les médecins face à leurs responsabilités, éloignant ainsi les notions de cause et de culpabilité. La démarche est assez passionnante et nous permet d'approcher les caractères des 3 patients, exprimant le droit à ressentir violemment certaines injonctions (au courage par exemple, à l’emprisonnement que constitue un protocole que l’on ne supporte pas...), à critiquer leur propre rôle (docile, coupable...) ou à se sentir abattus. De même les médecins semblent prendre peu à peu conscience de l'ampleur de leur pouvoir, de l’absurdité de la nécessité de « faire peur », et surtout de l’inutilité de rechercher une « vérité »... D'un dispositif au départ clinique, naît ainsi une véritable émotion, alors que l'humanité et l'incertitude se font jour des deux côtés.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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